Réussir à faire d’un lieu marqué tragiquement par l’histoire, un espace de sens et de veille contre la montée des totalitarismes, c’est le pari réussi d’Alain Chouraqui, président fondateur de la fondation du Camp des Milles et de son équipe 

L’Orchestre à géométrie variable, Les Métamorphoses, avait construit un programme autour du forum des Voix étouffées… « Faire écouter ces voix, c’est les libérer de l’emprise qui les a contraintes et étouffées, expliquait Alain Chouraqui, et ici, mettre en avant une culture qui lutte et perdure est d’autant plus symbolique que le Camp des Milles a été avec celui de Térézin celui qui a compté le plus d’artistes internés ». 

« La guerre est dure, / Mais pas pour nous./ (…)/ Nous épluchons les pommes de terre, / (…) / Et nous mangeons très bien». La mezzo-soprano Anaïs Merlin mettait (en replaçant au pied levé le baryton Julien Clément souffrant) la profondeur expressive de sa voix, son velouté, son humour, son intelligence, au service de la composition ironique de Max Schlesinger (parolier) et Adolf Sieberth (compositeur), L’Hymne des Milles, avant de se glisser dans Die Novaks aus Prag d’Hermann Leopoldi et des pièces de Stephan Wolpe aux accents jazzés ou chaloupés en tangos. On retrouvait la gouaille des Comedian Harmonists avec Mein Kleiner Grüner Kaktus, des extraits d’œuvres de Kurt Weill, dont le terrible Grand Lustrucru et des passages moins connus de Marie Galante interprétés avec une verve lumineuse par la chanteuse.

Camp des Milles © DR

Camp des Milles © D.R.

Les instrumentistes, tous solistes d’orchestre (Pierre Schaaf, violoncelle, Matthieu Magnin, trompette, Rémi Delangle, clarinette), offraient l’élégance virtuose de leur jeu à la Haute Sonate de Schullhoff  (incroyable Thomas Tacquet au piano et la subtile Miho Hakamada au saxophone) ou aux Sieben Stücke für Violine und Klavier de Kurt Weill (avec le violoniste Michaël Serra). « Avec la disparition progressive des premiers témoins, c’est pour nous une manière de transmettre cet héritage né de la force de résilience et de reconstruction des musiciens », sourit Thomas Tacquet. Transmission, mémoire, mais aussi, surtout, la puissance de l’art, indissociable de la vie.

Concert, L’autre Symphonie, a été donné le 5 octobre au Camp des Milles