La deuxième soirée du Blues Roots Festival mettait en avant deux têtes d’affiche féminines (sur les six concerts du festival, quatre étaient menés par des femmes, cependant, aucun accompagnateur n’était accompagnatrice) de premier plan, toutes deux porteuses d’un discours humaniste et féministe.
Hymne à la liberté
« On n’est pas là pour jouer le blues, mais pour vivre libres ! » lançait en introduction Véronique Gayot. Et quelle liberté ! Entourée de ses musiciens, tous plus virtuoses les uns que les autres, Yannick Eichert (guitare), Jérôme Spieldenner (batterie), Jérôme Wolf (basse) et Alexandre Logel (claviers), elle réinvente tout un monde par sa voix rocailleuse et fabuleusement travaillée : aigus, graves, tout est habité par une puissance organique qui pulse les rythmes blues, rock, boogie, avec une intensité rare. Il y a l’exigence d’une Janis Joplin dans cette force qui s’appuie sur la fragilité d’une âme mise à nu.
D’abord, hommage est rendu « à toutes les big black mamma » qui ont ouvert la voie. On voyage dans l’histoire du blues, le vrai, le lourd, comme on l’aime, (Swing down ) avec un son qui bouge les tripes, mène à The Revolution, raconte des histoires où s’affirme I’m not a fool in the air, où l’esprit de Woodstock renaît avec ses amitiés, ses enthousiasmes pour Jimi Hendrix, Jo Cocker… l’orgue Hammond n’est pas sans rappeler Rhoda Scott, quelques notes d’harmonica nous plongent dans les grands espaces texans. Un détour par les amours (« parfois si complexes, mais comment s’en passer ? ») « enflamme » la salle avec le génial Dynamite and Gasoline émaillé de riffs impossibles.
Véronique Gayot / Blues Roots Festival © François Colin – Ville de Meyreuil
En effet, « il n’y a aucun autre endroit où l’on voudrait être » (Ain’t no place) que face à cette scène du festival tandis que la silhouette de la Sainte Victoire est désormais absorbée par l’ombre et que la foule entière est prise dans une même respiration. En bis, Véronique Gayot offrira un solo sur une guitare Cigar Box (à l’origine elle était fabriquée avec une boite de cigares) avec de superbes slides au bottleneck, avant d’être rejointe par ses complices. Actrice, tout autant que musicienne, elle habite la scène avec une impressionnante virtuosité. L’entracte était plus que nécessaire pour avoir envie de passer à un autre concert !
La Terre comme un parterre magnifique
“The crazy girl is in town!” sourit Justina Lee Brown en entrant sur scène. “I on my way to you” met tout le monde debout. La jeune chanteuse arpente la scène, danse, réitérant les performances d’un Johnny Clegg, animée d’une énergie qui fusionne musiques et propos humanistes. « Chaque humain est un être humain qui a le droit de vivre en paix et en sécurité ». Véritable citoyenne du monde, cette native du Nigéria vit désormais en Europe.
Peu importe les pays ou les frontières, il n’y a qu’une Terre « bénie de l’univers et nous aussi avec toutes nos races comme des fleurs différentes pour un parterre magnifique » !
Le récital accompagné de Luis Cruz (basse), Carlo Menet (guitare), César Correa (claviers), Christian Bosshard (batterie) et David Stauffacher (percussions) résonnent les accents du blues, de la soul, du rock, du jazz, des airs venus d’Afrique, portés par une voix large et vibrante qui n’hésite pas à se remémorer les violences subies afin qu’elles cessent pour tous.
L’amour, la vie, les luttes ne sont pas simplement des sujets de chansons mais accordent une vitalité neuve et une universalité à des textes profondément vécus et incarnés.
Justina Lee Brown terminera la soirée par un titre de son dernier album, Black and White, narguant les oppositions binaires par des mots et des rythmes d’un raffinement complexe et puissant.
Justina Lee Brown / Blues Roots Festival © François Colin – Ville de Meyreuil
Après la pluie !
Les oiseaux météorologues de mauvais augures ont eu beau prédire, la pluie du samedi s’est arrêtée une heure avant le début des deux derniers concerts, et le Blues Roots festival qui affichait complet a pu faire entendre les deux dernières pépites de sa programmation.
Au fond d’une bouteille
Dans l’une des chansons de son album, Drifter, At the bottom of a bottle, Jovin Webb décline sur un éblouissant tempo de blues une poésie que porte sa voix, rauque à souhait, et ses intermèdes à l’harmonica.
“Don’t know where I’m goin’ / Don’t know where I’ve been / (…) Take a shot for pain / When the sun goes down/ (…)/ I’ll go way down / At the bottom of a bottle / That’s where I’ll be hangin’ round”. Il y a quelque chose des élans des prédicateurs des églises de Louisiane dans sa manière de se présenter, d’interpeler le public, de le séduire par ses interprétations, ballades émouvantes, récits de vie, d’une Amérique qui est aussi une inépuisable source de mythes contemporains, humus d’un art qui s’intéresse au quotidien, aux racines populaires. Aux côtés de cet immense mélodiste, les guitares de Laine Treme et Tim Marchand, les claviers et la trompette de Ross Hope, la basse de Miguel Hernandez et la batterie de Christopher Earl Lee s’harmonisent avec virtuosité, épousant les rythmes des trois « piliers » du concert, qui seront scandés par les spectateurs, « Blues, Soul and Rock and Roll ! ».
Jovin Webb / Blues Roots Festival © François Colin – Ville de Meyreuil
Et si le chanteur affirme « I’m a broken man » et « don’t know where I go », on le suit dans tous ses voyages, lui qui dit si bien aimer aimer… Le public a des envies de danser, de s’attendrir et de sourire « After rain ». C’est un sommet !
Introspection espiègle
Il fallait bien la venue de Jackie Venson et de son batteur aveugle, Rodney Hyder pour transformer la scène et la rendre tout aussi géniale. La jeune chanteuse nous parle d’amour avec son dernier opus, The Love Anthology, mais puise dans le foisonnement de son répertoire pour livrer un aperçu de son immense talent.
En fantastique touche à tout, elle marie avec une indicible fraîcheur les univers du jazz, de la pop, du funk, du rock, de la soul et bien sûr du blues. Chaque morceau ou presque est complété par des « jams » qui reprennent des suites d’accords de la pièce interprétée et servent de base d’improvisation.
L’artiste garde de sa formation de piano classique le goût des claviers et se sert de loops préenregistrés dans un avatar d’elle-même qu’elle a surnommé « Jackie the Robot».
Jonglant entre une voix naturelle et une voix modifiée par l’électronique (un peu comme Daft Punk), la major de sa promotion en composition et production studio en 2011 au Berklee College of Music, solaire, avec son irrésistible sourire, est d’une redoutable efficacité.
Son phrasé particulier suit parfois note à note la guitare et s’envole en ornementations qui sont une véritable signature du style de Jackie Venson. Hypnotique!
Jackie Venson / Blues Roots Festival © François Colin – Ville de Meyreuil
Décidément le Blues Roots festival collectionne les pépites ! Rendez-vous est déjà pris pour l’an prochain !
Concerts donnés les 12 & 13 septembre 2025 au domaine de Valbrillant dans le cadre du Blues Roots Festival de Meyreuil