Le treizième opus de Juan Carmona, Laberinto de Luz, célèbre les quarante ans de carrière de ce musicien, virtuose de la guitare flamenca, avide de rencontres et de créations. Au fil des morceaux de l’album qu’il a tous composés, l’artiste convie des musiciens amis, tisse des correspondances, se refuse à tout enfermement, passe du flamenco au jazz, aux rythmes latins, les mêle, les prolonge, les assortit, les passe au creuset de sa virtuosité. Le tout est irrésistible.
C’est par une somptueuse voix flamenca (Noemí Humanes) que s’ouvre l’album, comme un appel qui convoque les musiques et les musiciens. Les guitares de Juan Carmona et Al Di Meola suivent en un rythme de rumba, virtuoses, inventives, sont rejointes par des chœurs, avant de se poursuivre dans le superbe Laberinto de Luz qui vous donne envie de danser sur ses rythmes afro-cubains. Le jeu de Juan Carmona est d’une époustouflante clarté et sublime cette fête solaire qui emporte tout un monde de palmas, de couleurs, où les notes d’un piano jonglent avec les effervescences de la guitare qui se coulent avec une infinie sensibilité dans le duende de Dejando Sonidos, le lyrisme d’Aroma a tierra, l’étonnant jazz mâtiné de funk de Musica en mi boca, la rumba brillante de Liró.
Juan Carmona © Frank Loriou
La guitare voyage et fait un détour par l’Inde, comme un retour aux sources des musiques gitanes avec le chœur hindou Maitryee Mahatma, tandis que, telle une étape sur le parcours des musiques, s’immiscent les cordes de l’Istanbul strings Orchestra sous la houlette de Samin Sakaryali. Éclot alors une Danza de l’agua moirée de nuances et d’émotion. Un rythme de buleria-salsa accompagne une véritable lettre d’amour filial à la mère du compositeur dans La Teresita, avec une mélodie qui enveloppe de sa tendresse les harmonies nées de la rencontre entre la guitare et les voix. Les cuivres apportent leur éclat à Espejo del pasado où Richard Larrozé (piano, claviers), Dominique Di Piazza (basse), Tino Di Geraldo, Piraña (percussions), Pierre Bertrand (saxophone), Nicolas Folmer (trompette) et Denis Leloup (trombone) font assaut de virtuosité avec la guitare pour un espace flamboyant d’énergie. L’album s’achève sur un retour à la douceur avec Misterio sin igual, un chant aux élans flamenco porté par les miroitements de la guitare et des voix. Bonheurs d’un labyrinthe où l’on se plaît à s’égarer….
Laberinto de Luz, Juan Carmona, Nomades Kultur / L’autre distribution
Al di Meola et Juan Carmona.
C’est Juan Carmona qui a convaincu Al di Meola de revenir jouer en France en 2022. On les a entendus ensemble lors d’un concert mémorable le mercredi 22 juin 2022 à Châteauvallon.
Compte-rendu de cette soirée :
Châteauvallon en grandes frettes !
Le directeur artistique de la Nuit de la Guitare, le génial guitariste Juan Carmona, invitait deux lauréates de concours internationaux, Sandrine Luigi et Gaëlle Solal, affirmant ainsi la superbe qualité des interprètes féminines à la guitare, dans un milieu encore presque exclusivement masculin. Sandrine Luigi, avec un jeu tout en élégante finesse, mettait en miroir la Valse Sem Nome de Baden Powell et le Tango en skai de Roland Dyens, s’immisçait dans l’univers de Yupanqui ou de Barrios, puis interprétait ses propres compositions et ses poétiques arrangements, tel celui de Ciucciarella ou de La tendresse de Bourvil qui résonne comme un manifeste face à la cruauté du monde, tandis que la sensible précision de l’artiste se fondait dans l’onirisme de Home d’Andrew York. Gaëlle Solal, lumineuse, apportait la vivacité de la musique du Brésil et rendait hommage à ses deux maîtres, les regrettés René Bartoli et Roland Dyens après avoir abordé le choro deVilla Lobos à propos duquel elle égrène les anecdotes. Un bref panorama se brosse, convoquant Gismondi, Garoto, avant de terminer sur une reprise de Bidonville de Nougaro.
La soirée s’orchestrait, monumentale, entre trois concerts : Juan Carmona en un éblouissant quintet avec, Paco Carmona (2ème guitare), basse, Sergio Di Finizio, flûte & clavier, Domingo Patricio, percussions Isidro Suarez, puis Al Di Meola Trio (guitare, Al Di Meola, percussions Richie Morales, tabla, Amit Kavthekar) qui apportait une autre esthétique, plus jazzique avec des échos empruntés à l’Inde. Les deux complices se retrouvaient enfin, le flamenquiste et le jazzman qui rappelait son duo avec Paco de Lucia. Deux monstres de la guitare en improvisations espiègles et brillante émulation. Les rythmes se croisent, les arpèges fusent, les accords impossibles se posent avec une époustouflante aisance. Temps suspendu conclu par le vol des coussins des spectateurs qu’Al Di Meola renvoie avec sa guitare devenue raquette de tennis.