Après une Passion selon Saint-Matthieu peu mémorable, le Festival de Pâques offrait l’une de ses plus belles pages orchestrales avec le concert de l’Orchestre de la Suisse Romande dirigé par la jeune cheffe, Elim Chan qui a déjà enregistré, si l’on excepte le Richard Strauss, une partie du programme de la soirée chez Alpha Classics en 2024.

Trois petites danses…

En ouverture, Elim Chan proposait trois petites danses extraites de la suite All these Lighted Things (2017) de la compositrice américaine Elisabeth Ogonek (née en 1989). Ces trois temps finement ciselés tirent leur titre d’un poème de Thomas Merton, moine trappiste américain, célèbre pour son œuvre d’écrivain et ses dialogues avec les autres religions et sa position humaniste et non-violente. 

Le poème qui a inspiré Elisabeth Ogonek évoque l’aube d’une journée ensoleillée et l’apaisement d’une terre réconciliée avec les êtres humains. Les percussions tiennent un grand rôle dans la composition de la première « danse » et dialoguent avec les autres instruments de l’orchestre qui semble citer les éléments d’une mélodie classique en clin d’œil à un passé révolu. Marimba, timbales, cloches apportent une coloration joyeuse à l’œuvre qui semble vouloir faire danser le monde. Le deuxième mouvement a été défini par la compositrice comme « une sarabande sous l’eau », amenant ainsi une déclinaison des éléments premiers.

Orchestre de la Suisse Romande. Elim Chan, direction. Renaud Capuçon, violon. Grand Théâtre de Provence. 19/04/2025. Aix-en-Provence. © Caroline Doutre / Festival de Pâques

Orchestre de la Suisse Romande. Elim Chan, direction. Renaud Capuçon, violon. Grand Théâtre de Provence. 19/04/2025. Aix-en-Provence. © Caroline Doutre / Festival de Pâques

Enfin, le dernier mouvement, très alerte, développe une esthétique de contrastes, cordes exacerbées et couleurs pastorales, tandis que les rythmes évoquent ceux de L’Apprenti sorcier de Paul Dukas. Le tout s’achève en un tutti orgiastique sur lequel se posent, légères, dans le silence qui s’installe les clochettes d’un univers qui s’éloigne.

 Violon roi !

Œuvre de jeunesse, Richard Strauss n’a que dix-sept ans lorsqu’il le compose, le Concerto pour violon et orchestre en ré mineur tient en lui les promesses des chefs-d’œuvre à venir.

Certes, son auteur adulte détesta son travail et pourtant, la partition est déjà superbement maîtrisée, emplie de souvenirs des modèles du jeune musicien, Beethoven, Brahms, avec quelque chose de la liberté espiègle de Mendelssohn. Le violon de Renaud Capuçon s’empare avec une inépuisable verve de cette légèreté juvénile, en laisse percevoir les nuances, les emportements, les défis à la pesanteur, les élans hardis, en une virtuose élégance. L’orchestre le suit, mené avec une intelligente fougue par Elim Chan. Et l’on se dit alors, tant on est transporté par les houles mélodiques, que ce concerto est injustement méconnu. Richard Strauss offre ici une œuvre d’un romantisme débridé, puisant dans le Sturm und Drang (tempête et passion) de ses origines.

Orchestre de la Suisse Romande. Elim Chan, direction. Renaud Capuçon, violon. Grand Théâtre de Provence. 19/04/2025. Aix-en-Provence. © Caroline Doutre / Festival de Pâques

Orchestre de la Suisse Romande. Elim Chan, direction. Renaud Capuçon, violon. Grand Théâtre de Provence. 19/04/2025. Aix-en-Provence. © Caroline Doutre / Festival de Pâques

 Danser l’amour

Une autre danse naissait après l’entracte, celle de Roméo et Juliette, « ma première œuvre soviétique officielle » souriait son auteur, Prokofiev, qui la composa pour le théâtre Kirov de Leningrad.

En fait, le compositeur sut habilement jongler entre diverses influences stylistiques, rythmes dont la vivacité entre en contrepoint avec les passages lyriques ou « trop romantiques », dissonances, entremêlements qui décrivent une jeunesse passionnée et désespérée. Elim Chan est alors une véritable petite flamme face à l’orchestre dont elle semble modeler les nuances et les tempi, les volumes et les structures. Sans baguette, elle module l’air avec ses mains qui, semblables à des ailes se ploient, s’élargissent, pointent, précises, vives, sculptent les sons avec une infinie douceur. Elle est musique, émouvante, bouleversante. Rarement la Danse des chevaliers (Montaigus et Capulets) a connu une telle puissance, c’est elle qui détermine les éléments de la tragédie à venir.

Orchestre de la Suisse Romande. Elim Chan, direction. Renaud Capuçon, violon. Grand Théâtre de Provence. 19/04/2025. Aix-en-Provence. © Caroline Doutre / Festival de Pâques

Orchestre de la Suisse Romande. Elim Chan, direction. Renaud Capuçon, violon. Grand Théâtre de Provence. 19/04/2025. Aix-en-Provence. © Caroline Doutre / Festival de Pâques

La fermeté de l’exécution se plie à la poésie du conte lorsque Juliette est enfant, fait un détour par les accents de Pierre et le loup dans les Masques, cloue le spectateur sur place dans les dissonances de la Mort de Tybalt dont les rythmes scandés par le bras métronome de la cheffe s’abattent fatals sur le personnage. L’orchestre est un être vivant dont chaque cellule est sensible et nous raconte les mille facettes de la même histoire.
Une soirée d’anthologie !

Concert donné le 19 avril 2025 au Grand Théâtre de Provence, dans le cadre du Festival de Pâques