Ciels d’or, un premier CD composé en oratorio par le Trio Haydé

Le tout jeune Trio Haydé emprunte son nom à la tradition littéraire d’un prénom féminin, d’abord celui de la seule femme qui aime sincèrement le Don Juan de Byron (ce personnage n’a pas grand-chose à voir avec le mythe de l’insatiable séducteur, mais se voit plutôt objet de désir et quasi-« victime » de ses séductrices !), puis de la princesse grecque sauvée par Edmond Dantès (dans Le Comte de Monte-Cristo de Dumas), dont l’absolue loyauté tranche avec l’atmosphère d’intrigues et de corruptions du monde parisien dans lequel le Comte ourdit sa vengeance.

« Produire un album entièrement consacré à la musique des compositrices n’est pas un choix idéologique de départ pour le Tri Haydé, mais une évidence qui s’est petit à petit imposée : les œuvres sur le thème de la lumière qui touchaient le trio étaient toutes composées par des femmes ». Le livret d’une extrême richesse qui accompagne l’enregistrement s’amuse des modes pour revenir à l’essentiel, un éclectisme intelligent, un choix qui balaie les aprioris et s’empare des critiques « masculines » qui pensent faire compliment lorsque des attributs dits « masculins » sont accolés à des œuvres « féminines ».

Trio Haydée © Jean-Baptiste Millot

Trio Haydée © Jean-Baptiste Millot

Ainsi, d’après « M’as-tu vu », dans Mon dimanche du 9 novembre 1913, « le style musical de Lili Boulanger est correct, net et solide. Elle écrit en homme délicat, raffiné, mais en homme. C’est clair, rapide, plus vigoureux que gracieux. ». Clémence de Grandval quant à elle « travaille avec une assiduité bien courageuse » (Les Sports, 22 janvier 1879) tandis que Pauline Viardot, certes « pianiste de grand talent » ne voit jamais ses œuvres mentionnées… les exemples se succèdent avec humour. Le trio souligne le caractère terrible de ce besoin régulier de noter si les ensembles sont totalement féminins ou les morceaux composés par des femmes. « Cela ne devrait pas être davantage questionné que si cet album ne contenait que des pièces composées par des hommes. » Ce n’est pas gagné !!!

Le disque offre un panorama qui va du XIXème au XXIème siècle en dix-sept pièces de compositrices que l’on commence à connaître et d’autres encore bien peu ou pas du tout jouées.
On s’y promène comme dans une exposition où les palettes lumineuses empruntent leurs couleurs à différents univers poétiques ou picturaux. Une seule parmi ces œuvres n’est pas chantée, celle d’Edith Lejet (1941-2024), De Lumière et de cieux embrasés pour harpe. On y entend le jeu subtilement velouté et clair de Constance Luzzati, qui sait si bien déployer des mondes en un simple effleurement.
La relation aux tableaux se dessine, Edith Lejet avait pensé baptiser son œuvre Hommage à Turner dont les Couchers de soleil ont inspiré tant de poètes.
On retrouve chez elle l’influence de Zao Wou-Ki et sa capacité à transcrire les vibrations de la lumière.

Trio Haydée © Jean-Baptiste Millot

Trio Haydée © Jean-Baptiste Millot

Au siècle précédent, Pauline Viardot pastiche une chanson populaire du XVème, Roussignolet dont la flûte d’Anastasie Lefebvre de Rieux (un piccolo pour l’occasion) imite les roucoulades aux côtés de la voix aux inflexions profondes et parfois espiègles de Marielou Jacquard et Clémence de Grandval offre de nouvelles sonorités à la Villanelle de Passerat qui était revenue à la mode au XIXème siècle.

Rosy Wertheim dans ses Trois chansons pour voix, flûte et harpe d’après trois poèmes attribués à Li Bai (poète chinois de la dynastie Tang 702-762) ne cherche pas à recréer une Chine de pacotille, mais brosse des toiles qui correspondent à sa propre contemporanéité.

Elisanda Fabregas (*1955) s’inspire du poète assassiné à Grenade, Federico García Lorca pour Gacelas de amor, qui semble taillé sur mesure pour la chanteuse Marielou Jacquard à l’instar de l’œuvre de commande du trio passée à Josephine Stephenson (*1990), Aube (Diglee), et leurs beaux graves.

Ciels d'or, Trio Haydée

La poésie, encore et toujours se décline dans les partitions de marguerite Roesgen-Champion (1894-1976) et son Pantoum pour voix, flûte et harpe, dont les envoûtement semblent répondre à la Litanie pour mezzo-soprano et flûte en sol d’Édith Canat de Chizy alors que la Nuit d’étoiles de Louise-Zoé Gouirand-Gentil (1861-1947) orchestre le poème de Théodore de Banville et que Grace Williams (1906-1977) met en musique des textes de John Fletcher, Thomas Campion et Alfred Lord Tennyson dans ses Songs of Sleep et Lili Boulanger reprend Reflets de Maurice Maeterlink (d’après un arrangement de Marianne Schofield).
La musique et les textes racontent, dessinent, se lovent dans les fragrances solaires de leurs sonorités, embrasent les ombres de leurs frémissements, rendent palpables leurs pulsations, frissonnent à l’orée du sens. Un bijou !

Ciels d’or, Trio Haydée, chez Voces8 Records