On le sait, le public de la musique classique vieillit et, à quelques exceptions près, ne se renouvelle guère. René Martin, directeur artistique du Festival international de piano de La Roque d’Anthéron, fidèle à son ambition de présenter un panorama actuel de l’activité pianistique contemporaine, fait se côtoyer jazz, baroque, classique, contemporain : instruments d’époque et pianos arrangés sur lesquels le clavier semble accessoire sont tous passés à La Roque. Faire sortir parfois le public de sa zone de confort tient du pari et d’une ouverture intelligente. La venue de la pianiste et compositrice polonaise Hania Rani était de cet ordre : le public de La Roque était, pour une fois, scindé en deux « camps », l’un, celui des habitués qui venaient écouter une proposition nouvelle à la fois intrigués et un peu sceptiques, l’autre, des afficionados de la musicienne, connaissant ses musiques par cœur, et pour la plupart bien plus jeunes. « Ils connaissent enfin la route pour venir à La Roque », sourient les organisateurs. 

De la fumée, un balai de faisceaux lumineux… du jamais vu en tout cas sous la conque du parc de Florans !

La musique très intuitive de la jeune artiste qui œuvre sur trois claviers (synthétiseur, piano droit et piano à queue de concert) reliés par des consoles électroniques naît avec subtilité, à partir d’accords simples, de notes fascinantes dans leurs motifs ostinato dans la lignée d’un Philip Glass. Les influences sont multiples dans le domaine de la pop et de l’électro, mais la voix légère de la musicienne apporte une saveur très personnelle et intime à aux longues plages musicales qui s’étirent au gré de son inspiration. Les fantômes sont convoqués et se mêlent au chant obsédant des cigales, en préfiguration du prochain album qui sortira en octobre, Ghosts.

Hania Rani à La Roque d'Anthéron

Hania Rani  © Valentine Chauvin 2023

 Se jouxtent la lumière et les ténèbres, le réel se mire dans l’imaginaire et se plaît à une danse proche de la transe (Dancing with Ghosts), nous interpelle avec douceur, Hello et se résout à l’opacité infrangible des êtres, I’ll never find your soul… les samples sont repris en boucles sonores, les accords s’enchaînent ad libitum, ponctués dès leurs silences par les ovations des fans. La musique crée une ambiance, indubitablement.
La formation classique de la jeune interprète est sensible dans sa technique pianistique très déliée et son souci des phrasés pailletés. Il ne faut en aucun cas opposer ou comparer cette forme musicale et celles pratiquées habituellement à La Roque d’Anthéron. Le mérite du festival est ici d’acter l’existence de nouvelles esthétiques, de les mettre en évidence, sans déroger à son exigence de qualité. Ne boudons pas notre plaisir, il n’est guère coupable !!!

Hello, concert de Hania Rani a été donné le 29 juillet au Parc de Florans dans le cadre du Festival international de piano de La Roque d’Anthéron