Toujours attendu sous la conque du parc de Florans à La Roque d’Anthéron, le pianiste Alexandre Kantorow déplace les foules. Ce mardi 22 juillet, on avait le bonheur de le retrouver avec la violoniste Liya Petrova, l’Orchestre Philharmonique de Marseille sous la direction de Lawrence Foster. Soirée d’exception !

Lumineuse ascension

C’est le violon fluide et élégant de Liya Petrova qui ouvrait le bal avec The Lark Ascending (L’envol de l’alouette) Romance pour violon et orchestre de Ralph Vaughan Williams qui évoque le charme de la campagne anglaise, s’inspirant d’un poème pastoral éponyme que George Meredith écrivit en 1881.

La composition de la partition ne traite pas le poème comme une chanson avec une mélodie suivant le texte, mais se concentre sur l’idée des envols de l’oiseau, de ses tournoiements, de ses chants, dans une esthétique de la spontanéité où le violon de Liya Petrova évolue avec une aisance qui fait oublier les difficultés de la partition, pour ne laisser s’épanouir que la poésie dansante de ce tableau.
Certains traits miment une chanson folklorique (il faut préciser l’intérêt de Vaughan Williams pour l’ethnomusicologie, il avait collecté plus de 800 chants de 1903 à 1914), puis se fondent dans la délicatesse d’une atmosphère rêveuse. L’orchestre offre un écrin harmonieux à la fée qui sait si bien arrêter le temps et emporter l’auditoire avec ses notes suraiguës dont l’étoffe fragile laisse l’oiseau « se perdre dans la lumière ».

A. Kantorow/ L.Petrova/ L. Foster/Orchestre de chambre de Marseille © Pierre Morales-2025.

Aimez-vous Brahms ?

Sans conteste oui ! Surtout lorsqu’il est interprété comme il le fut ce soir-là. Le Concerto pour piano n° 1 en ré mineur opus 15 alterne, avec une sensibilité exempte de toute fadeur, entre mélancolie et passions déchaînées. Et c’est là, dans cet art des contrastes et des nuances, que repose tout l’art d’Alexandre Kantorow dont la technique idéale ne se mire jamais à son propre miroir mais se considère comme un outil au service de l’expression.

L’œuvre débutée en 1854 sera créée en 1859. Née d’un projet de sonate pour deux pianos, repensée en symphonie, elle sera enfin le concerto pour piano que l’on connaît.
Le piano commence longtemps après l’orchestre, comme pour une entrée en scène après une ouverture d’opéra. Fluide, sensible, son jeu précis, ciselé, s’ouvre à l’ampleur d’un chant mélancolique, distille sa grâce en demi-teintes, dialogue finement avec l’orchestre, s’emporte en puissantes octaves, jonglant entre la fougue et une rêverie peuplée d’ombres.

A. Kantorow/ L.Petrova/ L. Foster/Orchestre de chambre de Marseille © Pierre Morales-2025.

Le second mouvement, souvent considéré comme un hommage posthume à Robert Schumann (le 27 février 1854 il se jette dans le Rhin et il mourra le 29 juillet 1856 à l’asile du Dr Richarz à Endenich). « Benedictus qui venit in nomine Domini » est inscrit au début de ce mouvement. (Brahms appelait Schumann « Mein Herr Domine »). Le concerto prend des allures d’un cantique où se dessine une douloureuse méditation interrogative dont la respiration se résout en trilles bouleversants. Le troisième mouvement se plaît à la danse, esquisse une certaine légèreté, décline un art de la joie empreint d’élans vifs, d’attentes, d’incertitudes, où le piano et l’orchestre s’accordent, fusionnels, avant une conclusion brillante où tout s’exacerbe et se résout avec faste.

« Jouer avec Lawrence Foster est un privilège, confiait après le concert Alexandre Kantorow. Pour lui c’est la musique avant tout. Il n’y a pas de digression, mais un discours direct adressé à tous et des solutions techniques pour tous : position de la main sur les cordes, l’archet, placement du souffle… Il est une véritable mémoire de la musique, il rappelle comment un tel ou un tel abordait tel ou tel passage, et nous transmet des notions inestimables. Il est d’autre part attentif à tous. Il est relié à chaque musicien. Il est d’une fabuleuse écoute pour les solistes. C’est un vrai bonheur de travailler avec lui ».

A. Kantorow/ L.Petrova/ L. Foster/Orchestre de chambre de Marseille © Pierre Morales-2025.

En bis, Alexandre Kantorow, se refusant à s’imposer seul, allait chercher Liya Petrova pour la Sonate pour violon et piano en mi bémol majeur opus 18 : II. Improvisation, de Richard Strauss d’une fraîcheur qui se mariait avec la douceur du soir. « J’aime bien ce côté d’improvisation, cette liberté comme ça après des passages très écrits », souriait-il au sortir du concert. Une manière de renouer avec l’essence même de la musique dans la spontanéité de son éclosion et son accord intime avec le monde…  

Un art de la joie

Après l’entracte, Lawrence Foster entraînait l’orchestre dans l’atmosphère lumineuse de la Symphonie n° 8 en sol majeur d’Antonín Dvořák. L’œuvre fut composée dans la campagne de Vysoká, village de la Slovaquie orientale où le compositeur aimait se ressourcer. Il écrivait à son éditeur Simrock : «Vysoká est l’endroit qui m’est le plus cher au monde, je me sens très heureux ici : au milieu d’une forêt superbe, je passe les plus belles journées et je ne cesse d’apprécier le chant des oiseaux ». Le château de Vysoká abrite aujourd’hui un musée consacré à Dvořák.
L’enthousiasme du chef qui connaît si bien l’Orchestre de l’Opéra de Marseille pour l’avoir dirigé douze ans, s’appuie sur une complicité réelle et la Symphonie toute de nuances s’ourle d’optimisme dans sa déclinaison des thèmes traditionnels de la culture populaire tchèque. Les cuivres y sont brillants, les bois engagés, les cordes exaltées. La musique est une immense fête…

Concert donné le 22 juillet 2025 au parc de Florans de La Roque d’Anthéron dans le cadre du Festival international de Piano de La Roque d’Anthéron.  

Crédit pour toutes les photos de l’article: A. Kantorow/ L.Petrova/ L. Foster/Orchestre de chambre de Marseille © Pierre Morales-2025.

A. Kantorow/ L.Petrova/ L. Foster/Orchestre de chambre de Marseille © Pierre Morales-2025.