Il est des soirs où l’accord entre l’instrument, son interprète et les œuvres jouées est tel que les mots semblent inutiles et comme dérisoires. C’est à ce miracle que les spectateurs du Festival de La Roque d’Anthéron ont assisté le 3 août. 
Le concert d’Arcadi Volodos était plus qu’attendu : l’an passé, il avait dû renoncer à venir pour raisons de santé. Cette année, son programme schubertien nous fit entrer dans l’étoffe même de la musique.

Le temps de traverser l’immense plateau de la scène sur pilotis, surplombant légèrement l’eau du petit lac du parc de Florans, de s’asseoir sur une petite chaise aux barreaux noirs, de lever la tête vers le ciel comme pour accorder sa respiration au diapason de la nature environnante, et le pianiste pose ses mains sur le clavier en un geste d’une naturelle évidence.  

Arcadi Volodos / La Roque d'Anthéron 2025 © Valentine Chauvin

Alors la magie opère, dès les premières notes, sorcellerie époustouflante où la mécanique du piano s’oublie. Le son est un velours qui se fond dans l’air du soir, résonne avec rondeur jusque dans les pianissimi les plus ténus, poétise l’instant, s’emporte, stratosphérique dans la Rhapsodie hongroise n° 13 de Liszt.

Vaporeuses images

Les Six Moments musicaux de Schubert sont autant de miniatures aux contours ciselés probablement écrites dans les années 1822-1825. Leur concision justifie leur nom, mais la variété des atmosphères et la richesse de leur palette sonore en font un chef-d’œuvre où frémissent fraîcheur d’une émotion, humeur sombre, rêverie abandonnée, échos de tableaux de genre, silhouette d’une montagne, ioulement d’un berger, fanfare de cors, danse légère, sourde inquiétude, tendresse entre sourire et larmes… 
Les deux transcriptions de Liszt de Litanei auf das Fest aller Seelen et de Der Müller und der Bach (extrait de Die schöne Müllerin) font se rejoindre la lecture aérienne de l’auteur des Années de Pèlerinage, et la fragilité des notes de Schubert. Les quatre œuvres sont enchaînées sans pause, et leur tissage s’emplit de résonances.

 Lévitation

Après l’entracte, celui que l’on surnomme parfois le nouvel Horowitz, toujours aussi simplement, sans afféterie aucune ni mimique de quelle que sorte que ce soit, entamait la Sonate n°22 en la majeur D.959, l’une des ultimes sonates de Schubert (les Sonates, D 958, 959 et 960 furent écrites entre le printemps et l’automne 1828, le compositeur mourut le 19 novembre 1828 à 31 ans).

S’effacent les images trop fortes de la mort qui guette, elle est là, c’est évident, mais la tension qu’elle établit se transmue en poétique beauté.
Une âme s’épanche et la force de l’art repousse les ténèbres.
On est emporté dans une bulle qui ne se soucie plus de la matière : il n’y a que la musique. Arcadi Volodos joue, et on le laisse nous emporter où il veut.
L’artiste lui-même semble traversé par les partitions dont il retire l’essence. Il n’est plus question de tempi, de frappe du piano, tout passe dans le champ stellaire de l’idéal. Envoûtement, ataraxie… pureté d’un chant qui vient de l’au-delà des mondes…

Arcadi Volodos / La Roque d'Anthéron 2025 © Valentine Chauvin

L’enchantement se poursuivit par quatre fois à la fin du concert, Länder III en la mineur de Schubert, Rhapsodie hongroise n°13 de Liszt, Intermezzo de Brahms, Pajaro : Oiseau Triste (Impressions intimes) de Mompou. Le livre se referme dans la nuit, tandis que son évanescence éthérée nous suit.

Concert donné le 3 août 2025 au parc de Florans dans le cadre du Festival de La Roque d’Anthéron

Arcadi Volodos / La Roque d'Anthéron 2025 © Jérémie Pontin

Arcadi Volodos / La Roque d’Anthéron 2025 © Jérémie Pontin