Initié par le Conservatoire d’Aix-en-Provence, le festival entièrement gratuit Musique dans la rue multiplie les concerts depuis le 19 juillet conviant dans divers lieux patrimoniaux de la ville des formations musicales de tous horizons (classique, jazz, pop, médiéval, trad…) dont le seul point commun est une irréprochable qualité.
© Benjamin Roubaud, Grand chemin de la postérité 1842 (détail) Maison de Balzac, Paris
En avant les Romantiques !
Pas de guimauve au programme du récital violon, piano donné deux fois d’affilée à la Chapelle des Oblats le 22 août : deux représentants de L’Armée des Romantiques, le pianiste, pianofortiste, soliste et chambriste Rémy Cardinale (fondateur de l’ensemble en 2010) et le premier violon, soliste et chambriste Girolamo Bottiglieri, offraient une unique pièce, la célèbre Sonate à Kreutzer opus 47 pour violon et piano de Beethoven. « C’est une sonate assez extraordinaire, expliquait en préambule le pianiste, pour la première fois au XIXème siècle une sonate était écrite dans le style « concertant ». Auparavant, le piano était « accompagné ». Ici, est construit un véritable combat entre deux solistes : c’est à qui jouera le plus vite, le plus de notes. » « Rassurez-vous, vous n’aurez pas à compter les points, je vous donne le résultat, c’est ex aequo par KO », sourit le violoniste.
Chacun présente son instrument : un Erard en palissandre (du « vrai bois ! ») de 1895 et un Bernardel de 1844 (du nom du fondateur de la dynastie de luthiers parisiens Bernardel, Auguste Sébastien Philippe). Avec humour, Rémy Cardinale présentait brièvement la réception de Beethoven en France. Le compositeur, peu en vogue à Paris, fut reconnu et aimé d’abord à Marseille où cinq de ses neuf symphonies furent créées avant Paris en ce qui concerne les représentations sur le territoire français.
Duo Rémy Cardinale et Girolamo Bottiglieri © Robin Davies
Une citation extraite d’un courrier de Berlioz inséré dans La Revue et Gazette musicale du 10 septembre 1848 vient argumenter le propos inséré dans la feuille de salle : « Marseille est la première ville de France qui comprit les grandes œuvres de Beethoven. Elle précéda Paris de cinq ans sous ce rapport ; on jouait et on admirait déjà les derniers quatuors de Beethoven à Marseille, quand nous en étions encore à Paris à traiter de fou le sublime auteur de ces compositions extraordinaires ». Rémy Cardinale ajoute que la communauté de notables amateurs d’art marseillaise alla jusqu’à réunir « un orchestre d’amateurs portant le nom du lieu qui les accueillait, comme l’Orchestre Thubaneau »…
Duo ou duel ?
Les deux interprètes livrèrent une lecture vive de la partition beethovenienne qui inspira l’écrivain russe Léon Tolstoï (La sonate à Kreutzer qui évoque l’influence de cette musique sur l’évolution des relations sentimentales d’un couple, allant jusqu’à la jalousie et la démence). Il ne s’agit pas ici de la lutte entre deux thèmes musicaux, mais de l’affrontement entre deux instruments. Le premier motif aux accents emportés circule entre les deux solistes, débouche sur un second thème, amplifiant le duel qui s’achève sur des unissons et des répliques enlevées. L’Andante con variazioni reprend les accents d’un lied populaire qui donne lieu à des ornementations variées d’une expressive beauté. Le piano et le violon vocalisent tour à tour avant la chevauchée fantastique finale où se résolvent les interrogations.
À propos de ce finale empli de surprises, Bismarck disait, d’après Alfred Cortot (à qui Rubinstein avait déclaré « Petit, n’oublie pas ce que je vais te dire : Beethoven, ça ne se travaille pas, ça se réinvente »), « il faudrait l’entendre tous les jours pour accomplir de grandes choses, car à quiconque voudra façonner dès l’enfance le caractère d’un héros, voilà la berceuse qui convient ». L’élégance du jeu des interprètes, la faconde de leurs traits, l’espièglerie de leurs affrontements, apportèrent une vie rare à cette pièce souvent jouée de façon trop académique.
Duo Rémy Cardinale et Girolamo Bottiglieri © Robin Davies
Spectacle donné le 22 août, chapelle des Oblats, Aix-en-Provence dans le cadre du Festival Musique dans la rue