Coïncidence ? Parmi les premiers concerts organisés par Aix-en-Juin, deux proposés à l’abbaye de Silvacane, dans le cadre des Voix de Silvacane, mettaient en scène des flûtes obliques, Ney (lire ici) puis Kaval .
Le 21 juin, autre instrument « oblique », le kaval était à l’honneur grâce à Nedyalko Nedyalkov, formé à l’Académie de musique de Plodiv en Bulgarie et grand maître de cette flûte particulière, qui, dit-on, doit au diable les trous qui lui permettent de moduler davantage de notes. 
Il paraîtrait qu’aux temps très anciens des contes, il faut bien remonter jusque-là pour évoquer cet instrument qui a plus de 3000 ans, sans doute l’un des premiers de l’humanité si l’on exclut les lithophones, un berger jouait sur une flûte, peut-être taillée dans le bois souple d’un prunier ou d’un abricotier. Les sonorités aux subtiles harmoniques provenant de ce simple tuyau agacèrent le diable. Excédé, il s’empara de la flûte et la perça de plusieurs trous afin de faire taire le mélomane agreste. Ce que le diable n’avait pas prévu, c’est que ces trous apportèrent de nouvelles possibilités à l’instrumentiste qui fit naître de nouvelles mélodies encore plus enivrantes. L’histoire ne dit pas si le diable inventa alors les bouchons d’oreille pour faire cesser ces harmonies qui le dérangeaient tant. Le kaval était né, avec ses trois parties, encore une façon de se moquer du diabolique personnage par l’emploi d’un chiffre sacré !

Le concert réunissait le bel ensemble vocal Ev’Amu sous la direction de Philippe Franceschi, Nedyalko Nedyalkov, la chanteuse bulgare Stoimenka Nedyalkova et le guitariste Petar Milanov. Le joueur de kaval ouvrait le spectacle en descendant le transept pour rejoindre la scène. Harmoniques des pierres et du souffle… la guitare inventive de Petar Milanov venait le rejoindre avant de céder la place au chœur Ev’Amu qui nous emportait dans une évocation des musiques de la fin de la Renaissance et des débuts de la période baroque. D’abord, était convoqué Giovanni Giacome Gastoldi (1555-1609), compositeur, chanteur et maître de chapelle  qui, en dépit de son abondant catalogue d’œuvres religieuses, est surtout connu pour ses Baletti a cinque voci, très populaires à son époque.

Concert du 21 juin 2025/ Abbaye de Silvacane © M.C.

Concert du 21 juin 2025/ Abbaye de Silvacane © M.C.

Ces « ballets » sont nés de chansons et villanelles populaires. La Sirena, madrigal extrait de ces Balletti a cinque voci, entraînait le public dans ses tempos vifs « falalalalala ! » avant Liquide perle, Amor, dagli occhi sparse de celui que ses contemporains avaient surnommé « le cygne le plus doux » (il più dolce cigno), Luca Marenzio (Marentio) (1553-1599) renommé pour ses madrigaux, et Amante all’amata d’Adriano Banchieri (1568-1634) qui, moine à 19 ans, n’en écrivit pas moins, sous pseudo, des comédies et des farces et ne dédaigna pas la musique profane (brillantissime, il est le premier à avoir utilisé la barre de mesure dans son acception actuelle et noté les basses continues sur ses partitions de même que les forte et piano !).

Après cette entrée en matière italienne qui offrait aux voix un écrin propice à l’expression d’une palette colorée, on était invité à une plongée dans les musiques bulgares grâce aux arrangements de chants traditionnels par Filip Kutev (Vecherai Rado), Stefan Mutafchiev (Brala moma ruja cvete), Ivan Valev (Prochula se Neranza), puis des chants anonymes, Mome Kalino, Izkusala baba. La voix de Stoimenka Nedyalkova épousait avec une justesse élégante les rythmes asymétriques, les phrasés qui cultivent le petit ‘i’ accentué dans l’aigu et qui colore si bien les finales. Les intonations, l’ampleur, la tessiture même de la chanteuse ouvraient les portes d’un monde scandé par les fêtes et les actes du quotidien de la Bulgarie rurale. On se laisse séduire avec passion !

Concert du 21 juin 2025/ Abbaye de Silvacane © M.C.

Concert du 21 juin 2025/ Abbaye de Silvacane © M.C.

La suite instrumentale pour kaval et guitare, Pictures from Bulgaria, de Nedyalko Nedyalkov complétait l’image dessinée par les voix. La virtuosité devient ici évidence, et la musique est alors un jeu au cours duquel les musicien conversent, se taquinent, racontent, s’exclament, s’attristent parfois avant de secouer toute nostalgie par un air de danse où tout s’accélère joyeusement.
Le chœur revenait pour tisser les traits d’un autre continent, nous conduisant en Afrique du Sud avec des chants traditionnels, Wandibiza Umngoma, Indodana, dont la complexité et la beauté subjuguèrent un public déjà conquis, avant de finir par un arrangement de Michael Berewer du chant traditionnel sud-africain Hamba lulu, une petite merveille qui sera reprise en bis accompagnée par les improvisations du kaval et de la guitare.  

Concert donné à l’abbaye de Silvacane le 21 juin 2025 dans le cadre d’Aix-en-Juin et des Voix de Silvacane