Au Camp des Milles, a été jouée par la compagnie des Beaux Parleurs « À rendre à Monsieur Morgenstern en cas de demande », inspirée d’une histoire vraie
Au départ, il y a une boîte noire en carton bouilli retrouvée dans un grenier, un dossier gris assorti d’une note écrite au crayon à papier « Documents de M. Morgenstern confiés à Lyon en 1941 ou 1942. À rendre à M. Morgenstern en cas de demande ». L’écriture est celle du grand-père de Frédéric Moulin. Nous sommes en 2018 au mois de janvier, l’acteur se plonge dans la centaine de documents contenus dans le dossier, lettres, notes, courriers privés et administratifs, assignations à résidence, passeports, photos, permis de séjour, certificats médicaux, lettres préfectorales, demandes de renouvellements de visas provisoires…). Naît une véritable enquête au cours de laquelle le comédien ira consulter les recueils du CHRD au mémorial de la Shoah, s’entoure d’historiens (principalement issus du réseau Mémorha).
Plus de quatre-cents documents seront ainsi regroupés dans le but de découvrir ce qui est vraiment arrivé à la famille juive venue d’Autriche et passée par Lyon durant la Seconde Guerre mondiale et liée mystérieusement au grand-père, imprimeur de son métier, de Frédéric Moulin. L’histoire « trop romanesque, trop parfaite pour sembler vraie » explique l’acteur devenu ici dramaturge devra être mise à distance dans la pièce qui prend son nom de l’intitulé du dossier. Aussi, c’est Sabine Moindrot qui endosse le rôle de découvreuse. Telle Alice au Pays des Merveilles, « tombée dans un terrier, (elle) dans une boîte », elle se lance dans cette histoire qui lui permet aussi de rechercher dans les non-dits de sa propre famille, abordant le mutisme de ceux qui ont vécu les guerres. Méthodique, elle entre dans cet univers avec une sensibilité et une justesse de jeu rares au cœur d’une mise en scène en épure qui se nourrit des ombres et des lumières, des paroles prononcées derrière un long rideau qui permet aussi la projection de photographies et de documents. La famille de Leopold Morgenstern-Singer devient familière, le soulagement lorsqu’elle apprend leur fuite rocambolesque en Suisse ou la naissance de leur deuxième enfant en 1945, est tangible.
Quelles relations se sont établies entre l’imprimeur lyonnais et Leopold Morgenstern ? Aucun document n’en parle, les hypothèses fusent : il n’y a pas de hasard si les documents ont été confiés au grand-père ; souvent les imprimeurs faisaient de faux-papiers… Jouée au Camp des Milles, le lendemain du 12 novembre, la pièce a des résonnances particulières. Il n’est pas question de « devoir de mémoire mais de travail de mémoire » précise Frédéric Moulin alors que, convié sur le plateau avec le père de l’acteur, Robert Singer, (l’enfant né en Suisse en 1945), lit un texte dans lequel il remercie ceux qui ont contribué à sauver sa famille et rappelle combien l’humanité a besoin de la solidarité des êtres et de leur attention pour ne pas plonger dans la barbarie. Le mouvement dialectique entre histoire et mémoire tient ici de l’intime et renvoie chacun à sa responsabilité individuelle. Les idées ne sont pas simplement des mots, mais s’incarnent…
Lundi 13 novembre Camp des Milles