Quelle superbe entrée musicale au Grand Théâtre de Provence ! Laurence Equilbey et son Insula Orchestra interprétaient l’Ouverture de Die Loreley et le Concerto pour clarinette et alto de Max Bruch puis la Cinquième Symphonie de Ludwig van Beethoven, rejoints par un nouveau venu, l’Orchestre Insula Camerata

Un musicien du XIXème

S’il fut adulé de son temps, Max Bruch (1838-1920) est peu joué aujourd’hui, si ce n’est son célébrissime premier Concerto pour violon. Avec finesse, Laurence Equilbey donnait à écouter deux pièces du compositeur né à Cologne. D’abord, la brève Ouverture de Die Loreley, opéra de jeunesse du compositeur (il fut écrit entre 1860 et 1863), oppose le chant enivrant de la sirène des bords du Rhin et la puissance des eaux qui viennent se heurter à son rocher. Thème romantique par excellence, la légende de la Lorelei est un symbole de l’esthétique des débuts du romantisme, confrontant une nature idyllique et les mystères de l’âme humaine.

Puis, le Concerto pour clarinette et alto, écrit par un Max Bruch de soixante-treize ans (en 1911), offrait sa partition théâtrale et nuancée au clarinettiste Pierre Génisson et à l’altiste Miguel da Silva. Un art de la joie voyait ici le jour, dans les conversations entre les deux instruments solistes, les réparties de l’orchestre. Une chanson populaire scandinave passe de l’alto à la clarinette, fondant les sonorités des deux instruments en une même pâte lumineuse. La douceur suave de la clarinette éclot sur les pizzicati des cordes, et se mêle avec pureté au phrasé élégant de l’alto. Enfin, la fanfare des trompettes de l’allegro final impose son rythme alerte au concerto qui laisse le public sur la magie d’une énergie neuve. 

Miguel Da Silva © X-D.R.

Miguel Da Silva © X-D.R.

Pom pom pom pom !

Sans doute il s’agit des quatre notes les plus célèbres de l’histoire de la musique, trois brèves suivies d’une longue, qui ouvrent le premier mouvement de la Cinquième Symphonie que Beethoven dédia à son Altesse Sérénissime Monseigneur le Prince régnant de Lobkowitz, duc de Raudnitz et “à son Excellence Monsieur le comte de Razumovsky”. Beethoven les expliquait comme « les coups du destin à la porte ». En tout cas, l’œuvre est une affirmation magistrale du génie de son auteur qui, entre 1803 et 1808, dates de la conception et la composition de cette symphonie, commence à entrer dans la surdité. 

« De même que tu te jettes ici dans le tourbillon mondain, de même tu peux écrire des œuvres, en dépit de toutes les entraves qu’impose la société. Ne garde plus le secret sur ta surdité, même dans ton art. » écrivit-il en 1806 en marge d’une esquisse de son Quatuor opus 59 n° 3.
L’artiste lutte et la dimension dramatique de sa musique est imprégnée d’une dimension dramatique d’une puissance jamais atteinte encore dans son œuvre tout autant qu’autobiographique. En 1808 à la création de la Cinquième, Vienne est assiégée par les troupes napoléoniennes, les accents de liberté proclamés par l’impétuosité des accords résonnent aujourd’hui encore avec l’actualité internationale.
Mais ce qui frappe aussi l’auditeur, c’est l’infinie poésie de l’andante et la délicatesse du scherzo d’une souveraine beauté avec ses solos de contrebasse ou le duo des cordes et des flûtes. Semble se préparer la Sixième et ses tableaux champêtres, avant que ne triomphe l’allegro final. 

Pierre Génisson © X-D.R.

Pierre Génisson © X-D.R.

L’orchestre, multiplié par l’ajout des trente-deux jeunes musiciens issus de douze pays différents de l’Insula Camerata (structure propice à l’insertion professionnelle des jeunes artistes, ici en contrat de deux ans), offre une version spectaculaire de l’œuvre.  Laurence Equilbey qui présenta, en fin de programme, la Camerata se réjouissait de donner ainsi à écouter l’orchestre dans les proportions de celui de Beethoven, avec ses instruments anciens ou copiés, (on pouvait remarquer les deux trompettes circulaires et les cors naturels).
Et le miracle de la partition opère : l’œuvre a beau être jouée, écoutée, plus qu’abondamment, on a toujours l’impression d’en découvrir de nouvelles facettes. On la goûte comme ces pages de livres dans lesquels on aime à se replonger, renouant avec les mots, leurs sonorités, leurs phrasés familiers et pourtant sans cesse neufs où l’on se ressource dans une forêt de signes et de sens qui nous accompagnent.
En bis, la Cinquième Danse hongroise de Brahms scellait l’atmosphère de joie d’un concert magnifiquement dirigé, respirations à l’unisson entre la cheffe et son orchestre qu’elle anime et modèle en dansant les rythmes profonds des musiques et les traduisant par l’envol de ses mains qui semblent se transformer en ailes d’oiseaux bienveillants.

Concert donné le 30 septembre 2025 au Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence

Laurence Equilbey © Jana Jocif

Laurence Equilbey © Jana Jocif