Créé les 22 et 23 juin 2023 à Montpellier, le spectacle Black Lights composé par la chorégraphe Mathilde Monnier est inspiré de la série télévisée d’Arte, H24, de Valérie Urrea et Nathalie Masduraud.
« Lorsque j’ai vu cette série de très courts épisodes, mais remarquablement construits et écrits, chacun par une autrice contemporaine différente, j’ai eu envie d’en transcrire la teneur par la danse. J’ai demandé l’autorisation à la chaîne et aux deux réalisatrices qui ont immédiatement accepté.   

 Bien sûr, je ne pouvais pas tout reprendre, aussi j’ai choisi quelques épisodes, gardé les textes, onze pour être exacte, et les ai reliés à la danse », expliquait la chorégraphe après le spectacle joué au théâtre du Bois de l’Aune. La « série-manifeste » évoque les violences faites aux femmes, celles qui sont passibles de la loi et les autres, plus insidieuses, « légales » en quelque sorte, mais tout aussi destructrices dans leur travail de sape de l’identité, de l’estime de soi, par un procédé subtil de dépersonnalisation.

Black Lights ©Marc Coudrais

Black Lights ©Marc Coudrais

Le corps traduit par ses tensions, ses attitudes qui se figent parfois caricaturant les pages glacées des magazines de mode, réifiant les êtres, les transformant en objets de consommation, mimant le « désirable », le « préhensible », l’« achetable »… Les chaussures à talon de la première saynète ramènent les personnages au sol, en un travail presque immobile où les membres se plient et se déplient en mouvements brusques, interpelant le public par ce détournement total des codes. Le plateau est semé de racines énormes et torturées d’oliviers centenaires. La beauté brute de leurs formes et leur force symbolique apportent au désert lunaire de la scène une présence à la fois désespérée et puissante.  

Le premier texte est emprunté à Alice Zeniter, 10 centimètres au-dessus du sol. L’argument en est simple : une jeune femme doit commencer son travail de réceptionniste dans une grande entreprise, mais « elle est à plat », comme s’exclame la personne qui l’accueille. Être en derby est impensable, les talons de dix centimètres de préférence sont exigés ! La relation entre le discours implicite créé par cette hauteur et les résultats des entretiens commerciaux sont liés d’une manière aussi hilarante qu’ahurissante. La jeune femme n’aura pas le poste…

Black Lights ©Arnaud Caravielhe

Black Lights ©Arnaud Caravielhe

Les témoignages se succèdent, portés par les huit artistes au plateau, à la fois danseuses, chanteuses, comédiennes, grâce aux textes de Siri Hustvedt, Monica Sabolo, Lize Spit, Lola Lafon, Fabienne Kanor, Agnès Desarthe, Ersi Sotiropoulos, Blandine Rinke, Niviaq Korneliussen, Grazyna Plebanek.
En effet, « il y a quelque chose qui ne va pas ». Si la violence du viol est irréfutable, quoique cet acte barbare soit édulcoré si la victime n’est pas belle ou assez féminine, (alors là, cela « compte moins » ou « pas »), les autres agressions quant à l’apparence, talons, tenue, aux mots déplacés, aux propositions plus ou moins élégantes qui établissent l’infernal duo dominant/dominé, que Pierre Bourdieu analyse si finement dans La domination masculine.

La jeune musicienne qui refuse la proposition insistante de son professeur de violoncelle à aller chez lui boire un verre de vin se sent salie, même s’« il ne s’est rien passé ».
Et pourtant si, il s’est passé quelque chose, un regard avilissant et prédateur, comme celui des appels et des sifflets de la rue, ou de la voiture qui suit sa proie, ou le pervers recours au compliment destiné à déstabiliser la jeune étudiante dont les analyses brillantes ont quelque peu déstabilisé son interlocuteur.
Les évolutions complexes des interprètes sont chargées de sens, « allant du poétique au politique » (Mathilde Monnier).

Black Lights © Lise Agopian

Black Lights © Lise Agopian

La pièce tient de la performance, alliant texte, gestes, chorégraphie, mime et répond en le prenant au mot les propos des deux réalisatrices dans l’incipit de leur recueil : « n’hésitez pas à vous emparer de ces paroles, elles sont fortes, ce sont les vôtres ». On est saisi par la puissance de ce qui se passe sur scène et qui entre en résonance avec le quotidien de toutes les femmes. Le final, véritable danse tribale exutoire de toutes les tensions et les violences subies, fonctionne comme un exorcisme salvateur et bouleversant.

Black Lights a été donné au Théâtre du Bois de l’Aune les 6 et 7 février 2025

Teaser de Black Lights ici

Black Lights ©Marc Coudrais

Black Lights ©Marc Coudrais