L’Amazing Keystone Big Band, habitué régulier de la scène du Grand Théâtre de Provence, revenait avec son nouvel opus, Fascinating Rhythm(s)-The Music of George Gershwin, paru chez Nome / L’Autre Distribution.
Depuis quinze ans, les quatre complices, le pianiste Fred Nardin, le saxophoniste Jon Boutellier, le tromboniste Bastien Ballazet et le trompettiste David Enhco assurent la direction et les arrangements de leur ensemble qui a remporté le prix Victoire du Jazz-Meilleur Orchestre. Sont suffisamment rares aujourd’hui les grandes formations jazziques pour susciter l’enthousiasme des publics ! Et quels musiciens ! Une phalange de « soufflants » hors pair, un piano aux improvisations fluides, un pôle percussions dans lequel sont compris guitare, contrebasse et batterie, jouent animés par la même pulsation, une approche et une connivence aiguisées par des années de pratique commune.
L’ensemble poursuit son exploration des grandes musiques de jazz en s’attachant à l’un des pionniers du genre, George Gershwin, le créateur du jazz symphonique, génial compositeur de comédies musicales et d’un unique opéra, Porgy and Bess, de thèmes jazziques qui sont devenus des standards repris par les plus grands, de mélodies qui donnent la couleur d’une époque, évoquant les paysages sonores des villes dans lesquelles il a vécu. New York d’abord, toujours… inconditionnel de la Big Apple, il ne réussit jamais à s’acclimater ailleurs et fuit même par deux fois Hollywood qui pourtant le sollicitait (« un compositeur à Hollywood n’est rien d’autre qu’un type qui travaille pour le cinéma » expliquait-il et il se voulait bien plus !).
Amazing Keystone Big Band © X-D.R.
L’histoire des compositions de George Gershwin est intimement liée aux textes écrits par son frère, Ira, fortement ancrés dans le réel. Ils racontent la vie, ses déceptions, ses joies, ses espoirs, avec une poésie qui lorgne du côté de l’ironie. Les musiques « savantes » et « populaires » sont finement mêlées. Une vie éclair, (il meurt d’une tumeur cérébrale à trente-huit ans) pour cet enfant qui, dans son Lower East Side natal (quartier de New York), passait son temps à faire du patin à roulettes, à se bagarrer et à jouer au ballon. Il est dit que lors d’une partie sous les fenêtres de l’un de ses camarades de classe qui lui n’avait pas eu l’autorisation de « descendre », il entendit ce dernier interpréter l’Humoresque de Dvořák au violon : ce fut son premier émoi musical et le début de sa vocation ! Le choix de la musique n’était cependant pas évident tant les talents et les intérêts du jeune garçon étaient multiples ! danse, discussions littéraires, peinture, dessins, caricatures… et un inextinguible goût pour la fête mais aussi pour le sport (randonnée, musculation, boxe, pêche, équitation, golf, tennis, discipline qui lui a permis de s’entraîner à Los Angeles avec Schönberg !).
« Jouera-t-on encore ma musique dans cent ans ? » se demandait-il.
L’évidence de la réponse s’impose ! Le bouillonnement de sa musique ne cesse d’inspirer. L’Amazing Keystone Big Band offre en douze morceaux un panorama de son œuvre, soulignant les influences qui l’ont nourri, de la musique brésilienne au blues et aux résonances de la musique classique d’avant-garde de son époque.
Les musiciens tissent de superbes envolées dans les arrangements de Bastien Ballaz et Jon Boutellier. Les solos séduisent par une inventivité qui sait se lover entre l’histoire du jazz actuel et celui de l’époque du compositeur new-yorkais.
Les musiques familières semblent neuves grâce à la cohésion et la vivacité de l’ensemble. Le chanteur Pablo Campos que l’on avait déjà entendu avec cette formation à Aix dans sa reprise de West Side Story apporte la justesse et le swing de son phrasé aux impérissables mélodies gershwiniennes tandis que la jeune et talentueuse Fleur Worku, formée et repérée au Conservatoire de Lyon, étonnait par une voix très ancrée qui sait jongler entre la fluidité une certaine rugosité du blues.
© Amazing Keystone Big Band
Le travail sur les masses, l’équilibre des pupitres, leur dialogue, leur époustouflante présence ramenaient un Américain à Paris et l’amour de Porgy and Bess. Un grand moment de jazz au GTP !
Le 6 février 2025 au Grand Théâtre de Provence.