La nouvelle création de la Cie du Jour au lendemain, Babïl de Sarah Carré mise en scène par Agnès Régolo, est le premier texte du répertoire jeunesse travaillé par la troupe que nous avons trouvée déjà si pertinente et inventive dans les pièces « pour les grands ». La qualité ne se dément pas ! Au Bois de l’Aune, le public enfantin, sans doute le plus difficile, est captivé par l’histoire, le rythme sans faille, la présence expressive des deux comédiens, Antoine Laudet et Raphaël Bocobza qui, d’emblée, instaurent une familiarité complice avec le public, miment, dansent, jouent de l’hyperbole, jubilent. 

Devant une sorte de « Pangée » constituée de la réunion de quatre cartes choisies sur divers continents, entourés d’un cercle de cartes géographiques qui délimitent l’espace scénique, les deux amis Tohu et Bohu s’évertuent à conter une histoire qu’ils ont inventée. Le premier, à la parole facile, monopolise le récit, tandis que le second, plus timide, éprouve de grandes difficultés à achever ses phrases, mais supporte mal de se voir confisquée la narration de ce qu’il a imaginé. Dépossédé, il se sent, devenir invisible… et les disputes naissent (inénarrables moments de bravoure !) en écho au conte de la fondation de Belba : aux débuts du monde, les personnes vivaient très éloignées les unes des autres et décidèrent de vivre ensemble dans une grande maison, presqu’une ville, aux multiples étages : Belba. Le mythe de Babel est là bien sûr, mais s’inverse : les heurts éclosent aux débuts de la construction, car personne ne s’entend, ne se parle vraiment, ni ne partage les points de vue de manière égale, à l’instar de nos deux personnages. Si les dessins peuvent être éloquents, la parole est le creuset de la poésie, de la création, des déformations (parfois on se croirait chez le Prince de Motordu), mais aussi un enjeu de pouvoir : celui qui sait la manier l’emporte sur les autres même si ces derniers sont judicieux… La parole est le lieu de création du monde (« c’est froid le silence ») et de soi : « C’est celui qui dit qui est » s’emporte l’un des protagonistes. Le théâtre est une œuvre collective nous rappellent Tohu et Bohu, notre univers aussi. Quelle pépite !

 

Babïl de Sarah Carré mis en scène par Agnès Régolo avec Antoine Laudet et Raphaël Bocobza

Babïl © Fred-Saurel

Le 30 octobre 2021 cette pièce a été jouée au Théâtre du Bois de l’Aune à Aix-en-Provence. Bientôt elle sera reprise au théâtre Durance, je suis sûre que j’irai y faire un tour!