Quelle heureuse idée de reprendre le spectacle concocté en 2018 et créé en 2019, Boum mon bœuf ! On était séduits alors par la fraîcheur du jeu, l’inventivité du scénario, l’ingéniosité des enchaînements, des costumes, des décors, la beauté des musiques et de leurs interprétations.
Claire Luzi, mandoline, chant, conteuse et Cristiano Nascimento, guitare à sept cordes, trombone, percussions, jouent tous les rôles, occupent avec vivacité l’espace scénique, établissent d’emblée une complicité joyeuse avec le public quel que soit son âge. Il ne faut pas croire que cet opus soit destiné seulement aux enfants à partir de cinq ans, chacun y trouve son miel, son niveau de lecture : toutes les strates se mêlent et offrent à tous, par un langage commun, une multitude de signification, jonglant entre l’érudition savante et le « populaire », à l’instar du « Choro », forme musicale défendue par les fondateurs de La Roda, avec en point d’orgue le fantastique Festival international de Choro dont ils ont produit la deuxième édition cette année.

« Je ne comprends pas pourquoi, je ne comprends pas comment, un bœuf est sur le toit, sur le toit de ma maison ».
Après un dialogue « à table » où claquement d’un gobelet en plastique, de mains ou de bras, ont instauré une pulsation première, espiègle et bigrement complexe, les deux complices se livrent à une évocation du bœuf de celui, enchanté, d’un conte du Brésil, au célèbre «Bœuf sur le toit » où les musiciens allaient «faire le bœuf », c’est-à-dire, jouer ensemble après leurs concerts respectifs, juste pour le plaisir de se retrouver et de partager leurs musiques.
En trait d’union, il y a un compositeur, Darius Milhaud, représenté sur scène par une valise d’où sortiront des mots et des sons.

Festival international de Choro d'Aix/ Boum mon Boeuf! © M.C.

Festival international de Choro d’Aix/ Boum mon Boeuf! © M.C.

En effet le compositeur qui a passé son enfance à Aix-en-Provence n’avait pas été mobilisé lors de la Première Guerre mondiale en raison de problèmes de santé et il accepta avec joie en 1917 la proposition de Paul Claudel qui, nommé ministre plénipotentiaire au Brésil, lui demanda d’y être son secrétaire. Les deux artistes se connaissaient, Darius Milhaud avait mis en musique certains textes du poète et avait composé des musiques de scène sur la trilogie Orestie d’Eschyle traduite par Claudel. La découverte de la musique brésilienne marqua profondément le compositeur. On en perçoit l’empreinte dans le ballet L’Homme et son désir, Le Bœuf sur le toit ou la série de danses Saudades do Brasil.

Au Brésil, il y a deux légendes autour du bœuf, celle du « Bœuf Souverain » qui sauva un enfant et celle, tragique du bœuf sacrifié pour satisfaire les envies d’une femme enceinte. Elle et son époux, risquent la mort pour avoir tué le plus beau bœuf du troupeau de leur maître, mais l’animal ressuscite et tout finit en chansons. En ce qui concerne Darius Milhaud, émerveillé par la découverte des rythmes du Brésil, la maxixe, le tango brésilien, la samba, se passionna pour une chanson à la mode à l’époque, O Boi no Telhado, dont la traduction est Le bœuf sur le toit ! Titre dont s’empara le propriétaire d’un cabaret parisien où les musiciens se donnaient rendez-vous… scellant l’acte de naissance de la curieuse expression « faire le bœuf ».

Festival international de Choro d'Aix/ Boum mon Boeuf! © M.C.

Festival international de Choro d’Aix/ Boum mon Boeuf! © M.C.

Les époques se catapultent, les histoires entrecroisent leurs fils, une samba de carnaval, un écho de O Boi no Telhado, la joie d’un choro… des costumes resplendissants de l’esprit de la fête… les deux musiciens-comédiens-mimes sont les reflets des bonheurs de la foule, des moments heureux intimes, virtuoses sans en avoir l’air dans le jeu de la mandoline, de la guitare à sept cordes, du trombone, du pandeiro, du triangle, du mélodica, (de quel instrument ne savent-ils pas jouer ?).

La voix fraîche de Claire Luzi se glisse avec intelligence et humour dans les mélodies simples en apparence, mais aux subtils décalages et aux variations délicates. On rit, on sourit, on se prend à rêver, à s’embarquer dans la magie opérante de ce spectacle fou qui a pris le temps de mûrir, de se resserrer, a gagné en densité et en poésie. Le souffle qui anime l’ensemble ne se perd jamais.
Un petit bijou que l’on peut savourer à son aise grâce au livre-disque « C’est l’heure du bœuf », dont le récit est écrit par Dominique Dreyfus et illustré par Sylvain Barré (InOuïe distribution).

Festival international de Choro d'Aix/ Boum mon Boeuf! © M.C.

Festival international de Choro d’Aix/ Boum mon Boeuf! © M.C.

On repart avec la nostalgie des rodas, ces sortes de « rondes » informelles où les musiciens de toutes générations jouent, créent, arrangent, une musique vivante emplie d’histoires et de mythes, les inspirant autant qu’elle s’en nourrit.

Le concert a été donné le 17 avril à la Manufacture dans le cadre du deuxième Festival international de Choro d’Aix.

 

Festival international de Choro d'Aix/ Boum mon Boeuf! © M.C.