Trois levers de rideau et un véritable triomphe à la première du « dramma per musica » de Monteverdi, Il ritorno d’Ulisse in patria dans une mise en scène de Pierre Audi.
Le Festival d’Aix poursuit son cycle Monteverdi avec une œuvre particulièrement chère au directeur du Festival, car il s’agit de sa première mise en scène en 1990 à l’Opéra d’Amsterdam. Pariant sur une phalange de jeunes chanteurs-acteurs au curriculum déjà prestigieux, une scénographie sobre jouant sur une structuration de plateau géométrique définie par de grands panneaux mobiles et des variations de lumière tranchées, Pierre Audi offre une lecture fine de la partition du compositeur de Crémone, jouant sur les corps, les contrastes entre la danse, les élans sensuels des mortels et les déplacements hiératiques et codifiés des dieux.
Une exception parmi les êtres humains, le personnage de Pénélope, la mezzo-soprano Deepa Johnny aux inflexions dorées et profondes, évolue, statue vivante, drapée dans des étoffes amples et moirées comme sa voix. Inhumaine dans sa stoïque vertu, elle a quelque chose de l’intransigeance divine. Les raisons pour lesquelles elle refuse les prétendants sont parfois ambiguës, elle mime un intérêt, se replie sur sa volonté de ne plus aimer, car l’amour ne peut se solder que par des souffrances. « Pénélope aux mille ruses » dans sa capacité à maintenir les attentes et éviter un choix que les rois de Grèce veulent lui imposer sans mettre son île, Ithaque, à feu et à sang, elle campe sans doute la première héroïne tragique d’opéra. On la voit traverser la scène sur laquelle un immense triangle d’ombre inversé noie l’angle central sur lequel se referment et s’ouvriront les murs mobiles qui modulent l’espace.
Le retour d’Ulysse dans sa patrie © Festival d’Aix
On est tenté de s’interroger sur cette forme géométrique, stylisation d’un sexe féminin, symbole de l’enjeu de l’œuvre : le remariage de la reine d’Ithaque en l’absence d’Ulysse, ou clin d’œil au delta maçonnique et à La Flûte enchantée de Mozart ? Les lectures possibles foisonnent dans cette œuvre où le monde des dieux est annoncé par des lumières crues et une ligne de néon qui descend des cintres au centre de l’action, tel l’éclair du foudre de Jupiter.
On est en Italie, les noms grecs sont romanisés. Les dieux, dans leurs toges bleues, décident du sort des mortels, que commentent les Allégories. En ouverture, le prologue de L’humana fragilità (Paul-Antoine Bénos-Dijian), Il Tempo (Alex Rosen qui sera aussi Antinoo et Nettuno aux beaux effets de basse) évoquent les faiblesses humaines et l’instabilité de leur sort où ne reste que l’Amore (Mariana Florès qui campe une superbe Minerva) comme possible échappatoire. Les Allégories vêtues de blanc, rampent, s’étreignent, se heurtent… John Brancy (Ulisse) est d’un naturel confondant, passant du personnage déçu par ceux par qui il croit avoir été trahi à celui qui écoute sa déesse protectrice, Minerva, se grime en vieillard mendiant, en roi vengeur, en amant qui cherche à reconquérir Pénélope.
Le retour d’Ulysse dans sa patrie © Festival d’Aix
La distribution sans faute permet de croiser Anthony León, émouvant Télémaque, Marc Milhofer qui varie avec souplesse son expression entre Giove (Jupiter) et Eumete (Eumée, le berger), Marcel Beekman désopilant et peu à peu touchant dans le rôle carnavalesque de Iro, le glouton, sans compter Petr Nekoranec (Pisandro), Joel Williams (Eurimaco) en prétendants éloquemment arrogants et manipulateurs, et Guiseppina Bridelli dans le rôle de Fortuna et de Melanto, aussi acide et tentatrice que désespérée de voir échouer ses essais de convaincre Pénélope à suivre les appétits charnels des prétendants. La partition baroque aux sublimes madrigaux et étonnamment contemporaine dans ses frottements et ses dissonances trouve ici un écrin intemporel et c’est très beau !
Du 17 au 23 juillet, Jeu de Paume, Festival d’Aix