Le cycle de concert annuel estival des Voix animées, Entre pierres et mer, signe sa douzième édition, distillant ses concerts entre l’architecture de l’abbaye du Thoronet et les rivages marins de Toulon. Bien sûr, la Renaissance est au programme, marque de fabrique de cet ensemble à géométrie variable qui ne dédaigne pas ajuster aux fils de la polyphonie a cappella les chansons du XXème et du XIXème siècle quand il n’interprète pas des œuvres contemporaines. 

 

In Memoriam, deuxième programme du cycle, entremêle anglais et latin en un florilège de musique sacrée dues à deux grands polyphonistes anglais, William Byrd et Thomas Weelkes, décédés tous deux en 1623, il y a quatre-cents ans. Lors de l’avant-propos qui précède le concert, le baryton Luc Coadou, directeur artistique des Voix Animées, entouré des interprètes de la soirée donne quelques clés de ce qui va être entendu. Cette formule était dispensée dans la salle capitulaire, ancienne salle des « remontrances », sourit Luc Coadou qui présente William Byrd et Thomas Weelkes, le premier éditeur de ses propres musiques, le second, élève du premier, mais « adepte aussi de la boisson, ce qui explique sans doute sa fin précoce », tous deux « gentlemen de la Chapelle Royale », l’un sous Elisabeth 1ére, l’autre sous Jacques 1er  . Langue vernaculaire (anglais) et latin s’entremêlent au fil des motets dont les textes sont donnés en intégralité dans la « feuille de salle » téléchargeable sur le site de l’ensemble. Les nouvelles recrues sont présentées ; la soprano Maud Bessart-Morandas et le contre-ténor Maximin Marchand (qui est aussi comédien diplômé de l’ERAC) rejoignent la magnifique soprano Amelia Berridge (« qui nous donne des cours de prononciation anglaise » précise Luc Coadou), le contre-ténor Raphaël Pongy et le ténor Eymeric Mosca, dirigés par la basse Luc Coadou.

Voix animées à l'abbaye du Thoronet © François Vauban

Voix animées © Francis Vauban

Voix animées à l'abbaye du Thoronet © François Vauban

Voix animées © Francis Vauban

La création commandée par Les Voix Animées au compositeur Laurent Melin est spécialement destinée à l’abbatiale : l’écriture devait être pensée pour les voix de l’ensemble et les pierres, véritable défi, l’acoustique du lieu qui est vraiment fait pour des voix chantées et pas pour la parole (c’est pourquoi aucune présentation ne peut être donnée lors du concert, et les remerciements sont articulés avec une lenteur presque cocasse au milieu du transept, tant les sons roulent entre ces murs !). Le compositeur s’appuie sur une phrase extraite des Saintes Écritures, « Et in terra pax hominibus bonae voluntatis » (et sur terre, paix aux hommes de bonne volonté), la faisant courir au cœur de deux motets, le premier Et in terra s’attache aux trois premiers mots du verset, les triturant, coupant, scandant, découpant, « métaphore de Babel quand l’humanité ne se trouve plus ni les mots ni le chemin : les voix parlées, chuchotées, gémissantes, témoignent de la parole sacrée indicible et inaccessible » explique-t-il. 

Les voix des chanteurs s’élèvent bientôt devant une nef comble, partitions aériennes, sonorités travaillées, voyelles éclatantes, phrasés subtils, sublimes légatos, respirations qui se répondent, s’irisent les unes des autres, tout se conjugue dans l’émerveillement d’un tissage aux multiples nuances auquel les pierres de l’abbatiale semblent répondre, modulant leur propre souffle. Harmonie entre l’humain et le minéral, fusion de la matière et de l’idée… Le propos est le plus souvent triste, le programme l’annonçait, lamentations, déplorations, perte de l’être aimé, sensation d’être abandonné, et pourtant une lumière se dégage des lignes mélodiques enlacées, à l’instar de certains tableaux de Pierre Soulages où le noir est habité de délicats miroitements. Les musiques de William Byrd, Thomas Weelkes, Thomas Tomkins, Thomas Morley (“ce faussaire de génie » dixit Luc Coadou) se succèdent en une sobre élégance, les sons s’étirent, restent en suspensions éblouies, construisant leurs chapelles sonores, vivants édifices. La création de Laurent Melin convie les chanteurs à un cercle initiatique baigné d’une lumière bleue (superbe orchestration des lumières de Nicolas Augias et Olivier Blain) au cœur de l’abside. Quelque chose d’étrange se dégage des sons proférés, paroles tronquées, syllabes dispersées… La terre roule ses r tandis qu’une partie du texte, s’élève, comme désincarnée, et que l’autre renvoie à la douleur de la matière et de la chair qui souffre : « miserere nobis » psalmodié par le tutti nous raconte une humanité désemparée dans une histoire nourrie des confinements et des fureurs actuelles.

Voix animées à l'abbaye du Thoronet © François Vauban

Voix animées © Francis Vauban

Abbaye du Thoronet détail d'un chapiteau de la salle capitulaire

Abbaye  du Thoronet détail de chapiteau de la salle capitulaire © Mara des Bois

La conclusion en proie au déchaînements des cieux par l’intermédiaire de woobblocks exacerbés, presque hallucinés, trouve cependant une échappatoire, prémices du motet à venir, intitulé Pax (qui sera donné lors du prochain volet d’Entre pierres et mer), par une double croche sonnée sur le woodblock installé en avant de la scène par l’un des chanteurs, Maximin Marchand, lutin espiègle sorti d’un songe shakespearien. Volte pour donner aux humains une chance de rebondir.
Music divine de Thomkins (encore un élève de Byrd !) venait clore de sa magie joyeuse de temps suspendu entre pierres, mer et ciel.

Le concert In Memoriam a été donné le 26 août en l’abbaye du Thoronet dans le cadre du cycle Entre Pierres et mer