Le dimanche 30 juin est mémorable à plus d’un titre. Le concert des 20 ans d’Opéra au Village réconciliait avec l’esprit de courage et d’inventivité qui s’est tant embrumé ce soir-là

« 20 ans, souriait Suzy Charrue Delenne, fondatrice du festival Opéra au Village, cela veut dire que nous les avons vécus, pour une fois, une égalité pour tous, grâce aux bénévoles, à Jean de Gaspary, propriétaire du Couvent des Minimes » … les noms défilent, photographes, metteurs en scène, directeurs artistiques, financeurs. La tradition, qui sera respectée, du contact avec les artistes à la fin du spectacle autour de produits locaux, fait partie du caractère chaleureux de cette manifestation atypique qui a su, avant que la mode n’en soit lancée, mettre en avant les compositrices oubliées, en mettant en scène des œuvres de Pauline Viardot par exemple.

De une à huit mains

Le spectacle était conçu de façon très originale par les complices de plus de trente ans que sont les fantastiques pianistes François-René Duchâble, Clara Kastler, Hubert Woringer et Isabelle Terjan. « Il s’agit d’établir une progression en commençant par des pièces à une, puis deux, puis, trois, quatre, six et huit mains sur un deux et trois claviers », expliquait F-R. Duchâble qui, l’avant-veille, initiait les enfants de l’école primaire de Pourrières aux délices du piano classique avec un clavier électronique monté sur un vélo. Provocateur et pince sans rire, le virtuose reprenait sa présentation du « programme pour le moins original » en citant Desproges mais aussi Liszt, « la musique est un rêve qui se réalise », comme jouer à l’ombre du grand marronnier dont les frondaisons recouvrent désormais toute la cour du couvent… (les premières années du festival, les spectateurs se pressaient au plus près de l’arbre pour grapiller quelques brins d’ombre !).

Clara Kastler, Hubert Woringer, François Duchâble, Isabelle Terjan au Couvent des Minimes de Pourrières

Clara Kastler, Hubert Woringer, François Duchâble, Isabelle Terjan au Couvent des Minimes de Pourrières © Bernard Grimonet

C’est en présence du compositeur, Tristan-Patrice Challulau, né à Aix-en-Provence et premier prix de composition au Concours musical international Reine Élisabeth de Belgique, que François-René Duchâble ouvrait les festivités en interprétant son Grillos allegrios pour main droite. « Saviez-vous qu’il y a 5000 espèces de grillons que la longueur d’onde de leur chant rend difficile leur localisation pour nos oreilles et que le grillon est droitier pour striduler ? » sourit le pianiste avant de dessiner avec fluidité les paysages nocturnes où résonnent les accords ostinato des insectes nimbés des vibrations d’une note grave qui s’éternise. Le compositeur remercia son interprète : « j’ai enfin entendu le souffle de la poésie de mon œuvre contrairement à ce qui se passe lorsqu’elle est jouée par un artiste spécialisé uniquement dans le contemporain ». Les enchantements se poursuivirent, émaillés des commentaires du pianiste qui passa à la main gauche avec le Prélude pour la main gauche de Scriabine, magie sensible qui se prolongea avec Docteur Gradus ad Parnassum,extrait de Children’s Corner de Debussy par Clara Kastler, sublime de virtuosité et de sensibilité. Cette immense artiste s’écroulait sur scène, jouant jusqu’au bout, en duo avec François-René Duchâble, un arrangement pour trois mains de la Petite musique de nuit de Mozart. D’un courage et d’une abnégation au-delà de toute mesure, son époux, Hubert Woringer prenait la suite pour que le morceau soit achevé. 

D’un courage au-delà de toute mesure, son époux, Hubert Woringer prenait la suite pour que le morceau soit achevé.
Le programme était remonté, réorchestré, remodelé au fur et à mesure, brillant, bouleversant, émaillé d’anecdotes par l’intarissable F-R. Duchâble. C’est la transcription pour deux pianos par Dutilleux du Clair de lune de Debussy qui accompagna la pianiste alors que les pompiers l’emportaient vers l’hôpital d’Aix. On joua sur les « partitions de Clara » qui avait tout réglé. On laissa Bach, ce n’était plus possible, on reprit Sirènes de Debussy, sans les sirènes (un petit piano aux effets électroniques, joué par Clara, devait accompagner de ses sons la mélodie centrale), la Romance du Concerto n° 2 de Rachmaninov… Isabelle Terjan déchiffra avec brio, les interprètes se surpassèrent, offrant la quintessence de leur art.

François Duchâble, Isabelle Terjan et Hubert Woringer © Bernard Grimonet

François Duchâble, Isabelle Terjan et Hubert Woringer © Bernard Grimonet

Le 8 mains final sera un six mains : l’inénarrable et jubilatoire Galop de Lavignac qui sera redonné en bis. L’art reste l’ultime réponse ?

Concert donné le 30 juin au Couvent des Minimes de Pourrières, dans le cadre de l’Opéra au Village.