« Cette histoire est vraie puisque je l’ai inventée d’un bout à l’autre » affirmait Boris Vian. Ce pourrait être le credo de Marcus Malte, auteur invité en résidence par l’association Nouvelles Hybrides

Marcus Malte, (un pseudonyme), se pose en manipulateur dès l’information donnée en sous-titre de son nouvel opus Qui se souviendra de Phily-Jo ?, « roman traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Edouard Dayms », (notation qui a induit en erreur des revues littéraires qui ont même proposé l’ouvrage au « prix de la meilleure traduction »). Traduction, il n’y a once, et traducteur encore moins : Edouard Dayms est l’un des personnages de Garden of Love (Zulma 2017). Lors de l’entretien mené avec passion par Michel Gairaud, Marcus Malte manie le verbe avec malice. Avec son talent de conteur, il tisse le vrai, le faux, la fiction, la réalité, en un inextricable patchwork et déboule sur d’autres questionnements. Après avoir affirmé son rôle de « manipulateur, comme tout auteur, puisqu’il donne dans son livre les éléments qu’il veut bien donner et dans l’ordre qu’il souhaite », il sourit malicieusement : « Reste cependant un point crucial : « qui manipule l’auteur ? », nous subissons de multiples influences, nos choix dans la vie sont déterminés par de nombreux facteurs et notre libre arbitre est très restreint ». Le livre surfe sur les vagues du mensonge et de la réalité, l’important est de lier la forme et le fond : « il faut mettre d’abord le lecteur en présence de la forme, la musique des mots des phrases est essentielle : on est saisi par les tempi avant de passer par l’intellect. » Avec le livre Qui se souviendra de Phily-Jo ?, l’auteur souhaite montrer que « tous les maux dont on peut souffrir ne sont pas liés à une pieuvre fantasmée mais à des gens, des firmes, des sociétés dont les motivations ne sont pas secrètes, il s’agit de faire du profit, tout simplement ». 

« Je suis romancier, j’écris de la fiction, j’invente, ce qui ne m’empêche pas d’utiliser le réel ! Le croiser avec le faux enrichit le texte. » Pour ce dernier opus, Marcus Malte s’est intéressé à l’inventeur Nikola Tesla et à ses successeurs qui ont engagé des recherches sur les différents procédés d’énergie. Tous ces inventeurs ont en commun d’avoir été victimes d’agressions, voire même d’assassinats. Vérité ou affabulation complotiste élaborée autour de leurs biographies ? L’auteur émet des réserves : » il est difficile de démêler le vrai du faux dans la masse énorme d’informations contradictoires rapportées ». Son personnage, Phily-Jo, a inventé une machine à énergie libre qui utilise les mouvements du cosmos pour les convertir en une énergie qui serait presque gratuite… invention merveilleuse, sauf pour ceux qui détiennent les sources d’énergie payante. De quoi alimenter tous les fantasmes !
Lorsque la question de la « traduction » de son livre est évoquée, l’auteur insiste sur la mise en garde adressée au lecteur sur la véracité de ce qu’il va lire, puisque de traduction il n’y a pas ! Cependant en proposant l’hypothèse d’un texte traduit, l’écriture « pas franchement américaine » de l’ouvrage dont l’action se situe aux Etats-Unis, peut avoir comme alibi d’avoir été traduite et trahie dans sa forme… « mon écriture n’est pas dans cette esthétique, moi, petit écrivain de La Seyne-sur-Mer, mais si c’est par un traducteur ! Je me suis comme cela retrouvé dans les livres étrangers du magazine Livres Hebdo et mon livre a été nominé parmi les sélectionnés de la « meilleure traduction ». Là, mon éditrice a téléphoné pour expliquer la supercherie… Je suis donc un bon traducteur ! (rires) On a tendance à croire ce qui est écrit. Il faut vérifier ses sources ! Mais il faut bien reconnaître que si l’on a le choix entre une belle légende et une « vérité pourrie », on préfère la légende ».

Marcus Malte invité par Les Nouvelles Hybrides à la médiathèque de Pertuis

Marcus Malte © Nouvelles Hybrides

Marcus Malte

Marcus  Malte  © Francesco Gattoni 

« Ici, j’écris un livre qui se passe au Texas où je n’ai jamais mis les pieds, c’est l’Amérique vue par un petit français du Var, mais c’est la plus grande puissance du monde et la question se pose de son impact sur la planère entière y compris sur nous. Ils n’ont pas le droit de faire m’importe quoi et pourtant ils le font parfois ». Responsabilité des peuples et des pays dans la grande machinerie du monde…

La double question se pose sans cesse : qui parle, qui croire ? Le réel et la fiction se conjuguent en une construction gigogne et empruntent cinq voix narratrices qui diffractent les éléments du récit pour un livre dont l’énergie et l’humour transportent le lecteur. Chaque narration continue et reprend la précédente et présente une autre vérité, le lecteur est maintenu sur un fil et le doute devient le moteur de la lecture. L’écrivain lui-même confesse que son récit peut s’infléchir au gré de la logique interne de ses personnages et le conduire sur d’autres chemins. Si la documentation rassemblée pour étayer le texte est conséquente, Marcus Malte se refuse à tout didactisme, « il faut que mes recherches servent mais se fondent dans la narration ».

« Je prends le lecteur par la main et lui demande à la fois de s’abandonner, de me faire confiance et d’être attentif à tous les détails qui serviront parfois cent pages plus tard : il y a des connexions qui se font et amènent à de nouveaux développements. En fait, je suis comme le lecteur, j’ai besoin d’être surpris. Tout part de la première phrase ; je ne sais pas ce que je vais raconter ni mes personnages. Je cherche une première phrase qui sonne bien et c’est elle qui va tout déclencher. La première phrase de mon livre évoque la mort de Phyli-Jo, mais j’ignore qui il est et pourquoi il est mort. En deux phrases, trois personnages apparaissent, je ne les connais pas mais ça sonne bien… Allons-y ! Je m’impose comme règle d’écriture de ne pas revenir en arrière (en ce qui concerne l’intrigue s’entend, en ce qui concerne l’écriture, j’y reviens tout le temps) : dans la vie on ne peut pas revenir en arrière, on s’adapte. Pour l’écriture, c’est pareil.» Tout fonctionne « à l’oreille », si l’idée trouvée est géniale, mais que la formulation ne sonne pas bien alors elle est abandonnée d’office. Pour l’auteur, une histoire qui serait réduite à un scénario n’est guère intéressante, juste bonne pour le cinéma, mais certes pas pour la littérature.

Qui se souviendra de Phily-Jo?

« Dans l’écriture reprend-il, ce qui m’intéresse, c’est l’écriture, sa musique, sa poésie, même si je ne suis pas un poète ».  L’humour naît au fil des pages, s’immisce dans les passages les plus sombres, caustique et ironique, soulignant une distanciation élégante et parfois sans doute amère entre l’auteur, ses personnages et le récit qu’ils portent. « Écrire, c’est difficile, ce n’est pas naturel, cela demande une énergie de fou, ajoute Marcus Malte, j’essaie dans toute cette difficulté de prendre un peu de plaisir». Au vu de sa jubilation à tisser des histoires et orchestrer ses théories, on veut bien le croire…

Rencontre à la médiathèque des Carmes de Pertuis le 22 septembre

Qui se souviendra de Phily-Jo?, Marcus Malte, éditions Zulma