Le troisième programme du cycle de concerts Entre pierres et mer #12, « Splendeurs polyphoniques du siècle d’Or », des Voix Animées, était donné successivement dans les deux sœurs cisterciennes, l’abbaye du Thoronet puis celle de Silvacane
Le titre du concert, Magnificat, est emprunté à la réponse de la Vierge Marie à Elisabeth qui lui rend visite quelques jours après l’Annonciation, et se réjouit de la bonne nouvelle. Il s’agissait donc d’un concert d’exultation et de joie qui renvoie son écho luxuriant au spectacle précédent, In Memoriam, dont la gravité et les déplorations se résolvaient en espérance. Le mot lancé tel un clairon solaire par une voix soliste, « Magnificat », se voit rejoint par le tissu moiré des voix des huit chanteurs disposés en double chœur. Les notes graves finales semblent n’être que des points d’appui destinés à de nouveaux élans lumineux. Les phrases et mots d’appel d’un chantre seront souvent la caractéristique des pièces suivantes, amorce d’un thème auquel correspond un répons entonné par le chœur. L’être n’est plus l’abandonné, mais se voit en dialogue avec l’invisible et le sacré.
À la pièce de Palestrina succédait une messe complète due à Tomás Luis de Victoria, compositeur majeur de la fin de la Renaissance espagnole. « N’applaudissez pas durant le long temps de la messe, sourit Luc Coadou, directeur artistique de l’ensemble, attendez le troisième Agnus Dei da nos pacem, c’est facile à retenir en nos temps tourmentés ! » L’Ave Regina Caelorum, précédé du motet qui l’a structuré, emplit le transept de l’abbatiale de ses résonnances, les lignes mélodiques d’une étonnante netteté se déploient, redessinent les lieux par la pureté de leur architecture où les pleins et les déliés s’orchestrent en fine dentelle. Se succèdent, Gloria, Credo, Sanctus & Benedictus, Agnus Dei, délicatesse habitée, comme si le chant était empreint d’une conscience mystique et grave jusqu’à l’apaisement de l’Agnus Dei d’une infinie douceur. Quittant la forme antiphonique, le chœur désormais à huit et non à quatre plus quatre (sic !) entonnait Ego flos campi de Francisco Guerrero, « Je suis une petite fleur des champs, malgré les apparences annonçait Luc Coadou». Malgré le sérieux du propos, l’humour n’est jamais très loin lors d’une représentation des Voix Animées ! « Les chants de la Renaissance ne suivent pas les règles de l’harmonie actuelle, précise-t-il un peu plus tard, les voix sont écrites de manière horizontale et connues de tous les chantres du XVIème. Ainsi, dans Quomodo cantabimus, œuvre tardive de William Byrd, vous allez entendre un télescopage de nos voix. Laissez-vous emporter. »
Les Voix Animées à Silvacane © Marc Perrot
Les Voix Animées à Silvacane © Marc Perrot
Les voix des sopranos, Maud Bessard-Morandas, Sterenn Boulbin, des contre-ténors, Maximin Marchand, Raphaël Pongy, des ténors, Damien Roquetty et Camille Leblond, rencontrent avec une juste élégance les basses, Luc Coadou et Julien Guilloton. Quelques airs encore de la Renaissance, puis, s’opère une plongée dans notre XXIème siècle.
Les chanteurs s’installent en rond, un woodblock fait son apparition devant les auditeurs pour interpréter le second motet de l’œuvre commandée par les Voix Animées pour l’abbaye du Thoronet, créée la veille (le 9 septembre 2023) au compositeur Laurent Melin, Pax hominibus. Test acoustique et gageure, l’œuvre pensée pour les pierres du Thoronet trouvait des variantes sonores : « les lignes mélodiques sont plus claires, mais le son « monte » moins à Silvacane, reconnurent les musiciens et le compositeur ». Néanmoins, la pièce séduit. Elle débute par les deux croches frappées sur le woodblock qui refermaient avec une certaine espièglerie le premier motet, Et in terra. Au désordre des voix, des termes tronqués, malaxés dans le désespoir d’une Babel effondrée, répondait dans Pax, une réconciliation entre la terre et le ciel.
Les Voix Animées à Silvacane © Marc Perrot
Les mots et les phrases retrouvent alors leur place, leur totalité. Dans la dynamique des deux croches initiales, le tapis murmurant des voix, moiré des frémissements d’une multitude, laisse s’épanouir en un double mouvement une pensée qui retourne sur elle-même puis s’élève en une spirale infinie, ascension d’un cercle, reconquête de l’harmonie et de la transcendance. L’équilibre fragile de l’humanité côtoie le sublime, la matière et l’esprit s’accordent enfin…
Concert donné le 10 septembre à l’Abbaye de Silvacane dans le cadre du cycle Entre pierres et mer #12
Les Voix animées à Silvacane © Marc Perrot