Il avait annoncé son retrait des scènes en solo. La Roque d’Anthéron n’en est pas à un miracle près : Christian Zacharias offrait le 18 août un récital d’anthologie sous la conque.
Les notes se mêlent aux souffles du vent. Ce sont deux Sonates de Haydn (la 52 et la 58) qui ourlent de leur « classicisme viennois » et d’un romantisme naissant la première partie. Un esprit de liberté sourd d’une forme qui se réinvente, pailletée de trouvailles, de contrastes, de finesses que le jeu du pianiste sublime.
Entre les deux pièces, vibraient d’une lumière particulière les Six moments musicaux de Franz Schubert. La concision élégante, la variété de l’inspiration sont rendues avec une fraîcheur confondante. Les tableautins finement polis ont la clarté de l’écriture de Bach et le lyrisme délicat d’une âme en communion avec ce qui l’entoure. Les mélodies répondent au frémissement des grands arbres du parc de Florans. Ici on entend un berger tyrolien, là une lointaine fanfare, la quiétude d’une nuit étoilée, l’ombre d’un chagrin inexpliqué, une danse aux rythmes syncopés, le souvenir d’une blessure, d’un bonheur… Les harmonies se conjuguent entre sourire et larmes, le tout avec délicatesse. Le pianiste aborde l’œuvre comme un conte.
Christian ZACHARIAS ©Valentine CHAUVIN 2024
L’instrument n’est plus l’objet de prouesses techniques ou de mouvements qui cherchent à éblouir pour éblouir, mais se plie aux méandres d’un récit fantasque, en connaît les respirations, les modulations, les surprises.
Une seule musique
En seconde partie de concert, Christian Zacharias composait un programme d’une étonnante et vivifiante invention en jouant sans interruption des couples de pièces, Les Moissonneurs de Couperin enchaînés sans transition aux Mouvements perpétuels de Poulenc, puis, dans le même ordre des compositeurs, Les Charmes et Improvisation, Les Barricades Mystérieuses et Mélancolie. Seule entorse au « duo » Couperin/ Poulenc, un Scarlatti (Sonate en ut mineur K.158) et Poulenc, Improvisation 15 (Hommage à Édith Piaf).
Peu importe ce qui est joué, la pâte pianistique rassemble tout, abolit les siècles, les frontières de style ou d’esthétique, rassemble, travaille, module, transcrit, transmet émotions et sensations. Le piano semble emprunter aux sonorités du clavecin dont on croyait entendre des échos en première partie. La vivacité des paysages et des personnages qui ont l’air d’émaner des accords, et apparaissent au détour d’un phrasé souple, d’une interrogation. Les miniatures gazouillent, rient, spirituelles, se parent de mélancolie, suivent les fluctuations de la pensée, s’assombrissent lorsque Poulenc s’inquiète pour un ami parti à la guerre, se plient aux chants populaires d’une Édith Piaf, en un art d’une lumineuse simplicité.
Christian ZACHARIAS ©Valentine CHAUVIN 2024
Le musicien revenait pour deux rappels, la Sonatine n° 2 « Mouvement de Menuet » de Ravel et Les tours de passe-passe de Couperin. Rarement intensité, clarté, émotion ont été aussi subtilement servies !
Concert donné le 18 août, parc de Florans, La Roque d’Anthéron