La nef comble de l’abbaye de Silvacane offrait un écrin particulier au spectacle imaginé par le chanteur et compositeur Walid Ben Selim accompagné de la harpiste Marie-Marguerite Cano, Here and now, invitation à un voyage poétique au cœur du soufisme. L’amour humain y est une sorte de transposition de l’amour divin. Le poème est alors vecteur de transcendance et la musique qui le nimbe exercice de spiritualité, double incarnation du mysticisme par la chair des mots et des notes.
Le chanteur arrive sur scène chargé de livres qu’il dispose sur un large napperon rouge. Âti du merveilleux poète palestinien Mahmoud Darwich ouvrait le concert. « L’astre qui sort du livre des chansons / quand la voix du chanteur a vibré/(…)/ Ne meurs pas sur les cimes de la tristesse / Me voilà, je viens à l’ombre de tes yeux /comme un aigle dépossédé de ses plumes… ». La voix du chanteur oscille entre le dire et la mélodie, s’élance, pure, se replie dans les ombres d’une confidence, s’emporte soudain, rauque, puissamment ancrée dans l’ossature d’une pensée qui fait corps avec les remuements du monde.
Walid Ben Selim et Marie-Marguerite Cano, Here and now, Voix de Silvacane © Vincent Beaume
Les harmoniques des voûtes de l’abbaye, chargées des voix millénaires qui ont résonné là, sont prises à témoin, compagnes des intonations actuelles, échos lointains convoqués par les poètes, Mansur al-Hallaj au mysticisme inspiré (crucifié pour hérésie à Bagdad en 922), Telemsani (mort en 1961), Abu Nawas (VIIIème s.), Ibn Arabi (XIème s.), Ibn Fared (XIIIème s.) qui célébra le vin, Ibn Zaydoun (XI s.) qui dut fuir son pays et chanta son amour pour la poétesse Wallada bint al-Mustakfi, « la Sappho arabe » de Cordoue. La harpe renoue avec une innocence du monde, claire et propice aux envols, concrétisant les paroles de Darwich, dans Ici et maintenant, « Nous vivons dans les faubourgs de l’éternité ». Une musique de l’extase…
24 juin, Abbaye de Silvacane, Les Voix de Silvacane, Aix en Juin.
J’ai emprunté le titre à celui du dernier texte de Mahmoud Darwich, publié de son vivant : La trace du papillon
un petit extrait:
TEL UN POÈME EN PROSE
Un été automnal sur les collines tel un poème en prose. La brise est une cadence légère que je sens sans l’entendre dans la modestie des arbustes. L’herbe tend vers le jaune, images en ascèse qui séduisent la rhétorique en se comparant à ses fourberies. Pas de célébrations sur ces sentiers à l’exception des suggestions du moineau affairé entre sens et absurde. Et la nature est un corps qui s’allège de son clinquant et de ses atours que mû- rissent la figue, le raisin, la grenade et l’oubli de désirs que la pluie ravive. “N’était mon désir obscur de poésie, je n’aurais eu besoin de rien”, dit le poète qui, ayant perdu de son enthousiasme, com- met moins de fautes et marche. Les médecins lui ont conseillé de marcher sans but précis, pour exercer son cœur à l’insouciance nécessaire à la bonne santé. Et s’il marmonne, son propos est sans importance. L’été est rarement propice à la décla- mation. L’été, poème en prose indifférent des aigles tournoyant au firmament.
![La Trace du Papillon La tracce du Papillon, Mahmoud Darwich](https://vagabondart.fr/wp-content/uploads/2023/07/La-Trace-du-Papillon.jpeg)