Constance Luzzati s’attache dans son nouvel opus, Jupiter, à l’art de la transcription, rassemblant des pièces écrites pour clavecin et les transpose pour son instrument, la harpe, accompagnée par le théorbe de Caroline Delume.
Pourquoi « Jupiter » ? Pas de blague de Charline Vanhonacker ici, juste le nom de la Suite n°5, Pièce de viole mises en pièces de clavecin d’Antoine et Jean-Baptiste Forqueray, Jupiter.
Cinq œuvres signées Antoine et Jean-Baptiste Forqueray sont au programme parmi les treize que compte le CD. Comme toutes les pièces présentées, elles ont été transcrites pour la harpe et le théorbe ( présent sur quatre des pièces du CD).
Ce dernier instrument a pris petit à petit la place de la viole de gambe qui soutenait le plus souvent les mélodies par un continuo.
Le travail d’adaptation offre aux instruments la possibilité de se dépasser, d’explorer leurs limites, de marier leurs sonorités non pas afin de retrouver celles du clavecin, destinataire des partitions interprétées, mais d’apporter la puissance d’une lecture fine, d’un décryptage des ressorts des œuvres avec une pertinence confondante.
Constance Luzzati © Lyodoh Kaneto
Le livret qui accompagne le disque est remarquable d’intelligence et cerne spirituellement le propos et les intentions des deux musiciennes, depuis le choix des partitions à leur mise en lumière par leur confrontation.
Jupiter and co
Il paraîtrait que Forqueray père avait un caractère exécrable mais était un prodigieux gambiste. Il éblouit même, dit-on Louis XIV himself qui, amené à départager Antoine Forqueray de Marin Marais à la viole, s’en sortit par une pirouette : l’un jouant « comme un dieu » et l’autre « comme le diable ». Il était imbu de lui-même au point de ne pas vouloir publier ses œuvres (quelques 300 pièces pour la viole), sous prétexte qu’il était le seul capable de les jouer tant elles étaient difficiles.
Pourtant, une trentaine de ses compositions furent publiées deux ans après sa mort, grâce à son fils, Jean-Baptiste Forqueray qui fit preuve ici de sa bonté d’âme : son père l’avait fait enfermer à l’âge de vingt ans à la prison de Bicêtre se vengeant sur son fils du long procès de son divorce (il accusa sa femme d’adultère et elle de violences conjugales, on n’était pas encore à l’époque de #metoo !). Il semblerait aussi qu’il ait provoqué l’enfermement de son rejeton par esprit de rivalité : des amis de Jean-Baptiste écrivirent au roi pour demander la libération du jeune homme, « victime de l’injustice, de la cruauté, et de la jalousie évidente de son père face aux dons de son fils».
Caroline Delume au théorbe © Nicole Bergé
L’épouse de ce dernier, l’excellente claveciniste Marie-Rose Dubois aurait effectué les transcriptions de ces pièces pour clavecin. Sans doute, Jean-Baptiste a aussi posé sa marque sur les œuvres de son père tant leur style est proche de ses propres compositions.
Ce qui est certain, c’est que, jouées par Constance Luzzati et Caroline Delume, La Couperin, La Portugaise, Le Carillon de Passy ou Latour-Le Carillon de Passy, sont de pures merveilles. L’élégance du jeu des deux instrumentistes, leur façon de s’emparer des lignes mélodiques, en reprenant, l’une la main droite, l’autre la main gauche de la partition du clavecin, en remodelant leurs orchestrations afin de lier les timbres complémentaires de leurs instruments, accordent un charme fou à ces pièces baroques. Parfois, est-ce dû au fameux accord « du diable », semble naître un troisième instrument. L’interprétation creuse les graves, assouplit les aspérités en résonances délicates, le tout avec une subtile fluidité.
Le parcours débute par le trop méconnu Michel Corrette et son alerte description des Giboulées de mars. Puis, on se laisse séduire aussi par les pièces de Jacques Duphly qui, organiste, choisit le clavecin pour ne pas abîmer ses mains avec le clavier de l’orgue, de Pancrace Royer d’une réputation « aimable et de la plus grande politesse » (selon Labbet) et qui pourtant défraya les chroniques en raison d’une dispute « en plein café » avec Jean-Philippe Rameau dont le caractère n’était pas toujours simple.
Quoi qu’il en soit, les œuvres des uns et des autres trouvent un écrin de choix grâce à la conjugaison exquise de la harpe et du théorbe.
Constance Luzzati © Lyodoh Kaneto
Les images affluent, les tableautins pétillants de vivacité se succèdent avec élan et l’on se prend à écouter le CD en boucle. Bien sûr, honneur à Couperin, ses sublimes Barricades mystérieuses et ses Regrets empreints d’une envoûtante mélancolie ! L’une des pièces des Forqueray lui rend hommage : La Couperin. La musique est ici un théâtre, aussi séduisant que profond.
Jupiter, Constance Luzzati et Caroline Delume, Label Paraty