Avec « Tatiana », l’inclassable danseur et chorégraphe Julien Andujar, seul en scène, rend son prénom à sa sœur qui est devenue le symbole des « disparues de Perpignan »
Juste au départ des gradins, un personnage affublé d’une perruque rouge asymétrique offre à chacun un bout de tortilla, entame une conversation, offre un sourire communicatif. « Vous êtes bien ? Plus faim ? » Le spectacle peut commencer. Tout est mis en doute. Sommes-nous dans une répétition générale ? L’esquisse de répétition de spectacle de danse vers la fin de la soirée est un numéro de haut vol : seul sur scène, Julien Andujar fait tous les personnages, les danseurs et danseuses, le chorégraphe, la costumière, le « regard extérieur ».
Auparavant il aura été l’avocat de la famille, sa mère, son père, une amie, un étrange « homme grenouille » (déguisé en grenouille) et surtout Valentina, extravertie dans ses cheveux rouges et ses tenues extravagantes, son « amie imaginaire » qui le tire vers la vie, la dérision, la légèreté malgré le caractère terrible de l’histoire vraie. Tatiana a disparu à 17 ans, elle n’aura jamais 18 ans et son frère est plus âgé désormais qu’elle ne sera jamais : ni son corps ni ses vêtements ne seront retrouvés ni le coupable. L’esquisse d’une robe en papier transparent découverte sous le tapis de la scène devient la figuration de cette absence, de cette abstraction au sens propre d’un être. Elle est érigée ici en héroïne d’une pièce qui se fait et se défait, se love sur elle-même, interpelle et s’interroge en un double mouvement, -oscillation tragique entre l’intime et le public.
Tatiana@Vincent Curutchet
Peu à peu l’acteur se dévoile, quitte son maquillage, ses costumes fantasques, sa voix de scène : le réel le rattrape, l’émotion n’emprunte plus aux fards leur carapace salvatrice. Sans l’artifice, l’être fait face au drame. C’est ici que naît la tragédie et que l’art commence, puisant dans la fragilité qui nous rend à l’humain.
La disparition rend impossible le deuil, le spectacle se transforme en cérémonie vivante, protéiforme, où danse, chant, rire, performance drag queen, humour, jouxtent avec la détresse, la noblesse des protagonistes malgré eux de cette fresque foutraque et bouleversante.
Vu le 14 décembre, Bois de l’Aune, Aix-en-Provence