Le Festival de La Roque d’Anthéron ne se satisfait pas d’un lieu, mais essaime sur toute la région. Ainsi, la cour de Château-Bas à Mimet sert d’écrin à de nombreux concerts qui musent autour du classique et s’octroient de réjouissantes libertés.
Les deux premières soirées d’août donnaient rendez-vous à une Amérique Latine s’emparant joyeusement du répertoire classique.

Afro Bach

Le pianiste américain Joachim Horsley reprenait le titre de son dernier album pour un concert qui passait en revue des titres issus des différents disques de sa trilogie Via Havana débutée en 2019.

Avec ses trois complices, Damian Nueva Cortes (basse), Yonathan « Morocho » Gavidia (percussions) et Murphy Aucamp (batterie), il revisitait avec humour et érudition quelques grands classiques d’Europe, les passant à la moulinette de divers styles Sud-Américains. Le style merengue (République Dominicaine), le zouk (Martinique), le cubain, le nigérian, le vénézuélien, le cap-verdien, trouvaient des résonnances étonnantes et intimes avec les musiques de Copland, Chopin, Schubert, Mozart, Bach, Chostakovitch, Rimski-Korsakov, Debussy… Chaque morceau débute par un regard sur l’original, un rythme, une pulsation interne, un souffle particulier, naissent, le piano seul est rejoint par les percussions, la basse. Des improvisations fulgurantes se dessinent à la batterie.

Joachim Horsley/ Festival de la Roque d'Anthéron 2025 © Jérémie Pontin

Joachim Horsley/ Festival de la Roque d’Anthéron 2025 © Jérémie Pontin

Les classiques chaloupent, Schubert danse, Chopin n’est plus si mélancolique, Bach bien moins sérieux… les thèmes initiaux sont traités à la manière du jazz, s’emportent en séquences nouvelles avec une énergie jubilatoire. On en redemande et, malicieux, Joachim Horsley revient avec une danse macabre de Saint-Saëns revisitée en rumba virevoltante puis le « tube » qui l’a fait connaître par des millions d’auditeurs sur le web, un extrait de sa rumba sur la Septième de Beethoven. « La musique c’est la tête, mais aussi le corps » expliquait-il en préambule. Rarement la musique est aussi libre, impertinente et à la fois hommage aux modes d’expressions des continents de la planète Terre. Tout simplement génial !

Volver

Non, ce n’est pas une référence au titre du film d’Almodovar, mais bien le nom du dernier opus du pianiste Vittorio Forte, Volver, à paraître sous peu chez Mirare !  À Château-Bas, il avait choisi la brillance d’un Fazioli pour affronter le plein air. Son jeu velouté savait dompter les éclats faciles et entrer dans une intériorité dense pour son approche de quatre Mazurkas de Chopin et sa Polonaise en fa dièse mineur op.44.

Auparavant il avait eu la finesse de présenter le programme, placé sous les auspices des musiques populaires et leur influence sur les compositeurs : « il s’agit de la voix du peuple ou du chant du peuple. Les compositeurs sont inspirés par les chants, la voix dense des peuples des pays où ils sont nés ». L’impression d’improvisation subsiste ainsi dans les deux Rhapsodies hongroises de Liszt interprétées ce soir-là. Musique des peuples, musique de l’âme, ce qui revient à peu près au même ici. Le jeu délié du pianiste s’éclaircit au fil de la soirée, jusqu’à devenir une expression naturelle et profonde qui émeut et séduit.

Vittorio Forte/ Festival de La Roque d'Anthéron 2025 © Pierre Morales

Vittorio Forte/ Festival de La Roque d’Anthéron 2025 © Pierre Morales

Après l’entracte, Vittorio Forte offrait la primeur de son nouveau CD en présentant cinq grands artistes d’Amérique latine : Heitor Villa-Lobos qui affirmait « mon traité d’harmonie, c’est mon pays, le Brésil », l’argentin Carlos Guastavino et son approche si romantique de l’écriture, le cubain Ernesto Lecuona qui fit l’admiration de Ravel ou de Gershwin, dont les pièces jouées ce soir-là étaient imprégnées d’influences africaines et d’une atmosphère nocturne annonciatrice de fête, Astor Piazzolla et son bouleversant Adios Noñino, une rhapsodie-tango écrite dans une chambre d’hôtel à New-York lorsque le musicien avait appris la mort de son père, Carlos Gardel enfin, et la transcription pour piano de Por una cabeza et Volver par Vittorio Forte himself. Comme cette musique lui va bien ! Le pianiste y trouve une liberté et une élégance rare, les traits sont clairs, éblouissants d’expressivité. Une pointe d’humour, une légère distanciation avec le trop plein de grandiloquence de certains passages, et la complexité des orchestrations vivantes de ces musiques prend un tour naturel qui transporte l’auditoire. Bonheurs d’été !

 

Concerts donnés les 1er et 2 août 2025 à Château-Bas, Mimet, dans le cadre du Festival de La Roque d’Anthéron