Les dernières notes du Festival international de piano de La Roque d’Anthéron se sont posées sur les deux Steinway choisis par François-Frédéric Guy et Adam Laloum. Rendez-vous est donné pour l’édition 2026. Il y a toujours un petit pincement au cœur à la fin de cette manifestation qui sait si bien apprivoiser les univers de la musique. Les bénévoles, les artisans de cette immense fête, directeur artistique en tête, René Martin, peuvent se congratuler tout en rêvant déjà à l’année prochaine. Entre temps, l’ultime concert de 2025 a ébloui l’auditoire rassemblé au parc de Florans.
Aux pianos s’ajoutait le Quatuor Hanson. Fondé à Paris en 2013, ce jeune quatuor a aussi fait partie des ensembles en résidence de La Roque d’Anthéron, souriait René Martin lors de leur présentation : « La boucle est bouclée ! les artistes viennent ici, approfondissent leur art auprès des meilleurs professeurs et reviennent pour la plus grande joie de tous en concert ! ».
Concerto de chambre
Le Quintette pour piano et cordes en fa mineur opus 34 de Brahms est le résultat de nombreuses réflexions, hésitations et remaniements. Le compositeur avait d’abord écrit cette pièce pour quintette à cordes (2 violons, 1 alto et 2 violoncelles), mais n’en était pas très content. Heureusement, il ne jeta pas son travail, comme il le faisait d’ordinaire lorsqu’il n’en était pas satisfait et remodela le tout pour deux pianos, mais ce n’était pas encore ça. Clara Schumann, fine conseillère, lui suggéra la forme quintette avec piano et cordes.
Les couleurs se disposèrent alors avec encore plus de pertinence et le musicien conserva cette dernière version. Elle fut jouée pour la première fois le 22 juin 1866, il a trente-trois ans et vient de signer l’une de ses œuvres les plus célèbres. Aux élans fastueux de l’Allegro, succèdent les mystères de l’Andante qui semble cristalliser les sons en une danse immobile. Le Scherzo reprend le schéma initial en emportements échevelés, n’hésite pas à user de ruptures de ton franches comme pour éclairer davantage les exacerbations martelées où s’enlacent les phrasés avec une vivacité diabolique. Le Finale déploie ses thèmes avec une ampleur orchestrale qui confine au sublime.
François-Frédéric Guy /Quatuor Hanson/ La Roque 2025 © Valentine Chauvin
Le velouté du piano de François-Frédéric Guy est d’une souple élégance dans son dialogue avec les cordes qui font écouter la musique de Brahms avec une acuité liée sans doute à leur pratique des musiques contemporaines : les articulations et les tissages tiennent autant de la lecture « classique » de l’œuvre que de celle « séquencée » de certaines créations actuelles. Les violons d’Anton Hanson et Jules Dussap, l’alto de Gabrielle Lafait et le violoncelle de Simon Dechambre se coulent finement dans les méandres poétiques de la pièce de Brahms, servant sa fièvre avec une vivacité enthousiaste.
Piano et orchestre en quatre !
Robert Schumann passa des nuits blanches pour composer son Quintette pour piano et cordes en mi bémol majeur opus 44. Il était pressé et l’écrivit en septembre et octobre 1842. Il le dédia à son épouse, la merveilleuse concertiste Clara Schumann qui le créa en janvier 1843 avec les musiciens du Gewandhaus. Cette dernière trouva cependant que cette pièce était « pleine de vigueur et de fraîcheur » et l’une « des plus brillantes et impressionnantes ». Magie de la création qui efface les affres du compositeur ! Wagner lui-même déclara : « Votre quintette, cher Schumann, m’a beaucoup plu. Je vois où vous voulez en venir et vous assure que c’est aussi ce à quoi j’aspire : c’est l’unique salut : la beauté ! ».
Ce modèle absolu de la musique romantique passe par tous les stades des émotions. La joie vive de l’Allegro se replie en une certaine gravité, s’épanche en échos où piano et cordes se répondent. Le piano d’Adam Laloum est royal dans cette partition qui conjugue énergie débordante et lyrisme chantant. Vertiges où la pensée se module, fièvre exigeante, délicatesse nostalgique, ambiguïté d’une dramaturgie mouvante… tantôt les pizzicati des cordes scandent la mélodie du piano, tantôt le piano offre une toile où les notes ruissèlent pour que se dessinent avec davantage de netteté les traits des cordes. Le dernier mouvement prend des allures de danse avec ses retours et ses alanguissements, multiplie les surprises dont l’enthousiasme parfois se teinte d’une légère mélancolie.
Adam Laloum / Quatuor Hanson © Julien Benhamou
Au sortir du concert les sept musiciens insisteront sur leur complicité et le bonheur qu’ils ont de jouer ensemble : les membres du Quatuor Hanson jouent depuis longtemps avec Adam Laloum dont la collaboration leur est infiniment précieuse. Leur découverte du travail avec François-Frédéric Guy fut également pour eux un enchantement. Les deux pianistes sourient et évoquent leur attachement au travail mené avec le quatuor, mais aussi leur rencontre.
Deux pianos pour faire danser La Roque
Pour la première fois François-Frédéric Guy et Adam Laloum jouaient ensemble : les deux pianos sans couvercle, disposés de façon que les instrumentistes soient au milieu de la scène, les claviers formant une ligne, si bien que le son était diffusé avec une égalité rare. Les deux fantastiques pianistes offraient une série des Danses hongroises de Brahms. « Nous les avons choisies ensemble, en prenant des « très connues » et d’autres un peu moins, en tout cas, chacune nous plaisait », nous expliquait Adam Laloum hors-champ.
Six parmi les vingt-et-unes compositions de Brahms réarrangées pour deux pianos (en général elles sont jouées à quatre mains) faisaient danser les spectateurs sur leurs sièges.
Les airs populaires de danses hongroises traditionnelles et folkloriques d’origine tzigane ou slaves gardent dans leur expression « savante » leur saveur et leur vivacité.
Les alternances entre parties lentes et rapides, l’émulation entre les instruments, familière aux morceaux traditionnels, qui les pousse aux limites de leurs véloce virtuosité.
La facture évidente des mélodies que chacun peut retenir, donnent leur couleur pittoresque à ces danses, sans ignorer pour autant une orchestration d’un subtil raffinement.
Les deux pianistes prennent un plaisir sensible à jouer ensemble, les regards échangés tiennent autant des nécessités de la partition que de la connivence espiègle tissée entre eux.
François-Frédéric Guy / Quatuor Hanson © Valentine Chauvin
En bis, les deux artistes duettisaient encore dans le fragile et pourtant empli d’une espérance joyeuse Abendlied de Brahms. Pour l’anecdote, une photographie de François-Frédéric Guy lorsqu’il avait l’âge d’Adam Laloum sera montrée après le concert : la ressemblance entre les deux pianistes n’est pas que celle d’un jeu subtil, velouté, d’une époustouflante technique et d’une indicible poésie!
Le concert a été donné dimanche 17 août 2025 au parc de Florans dans le cadre du Festival de La Roque d’Anthéron.
Le bilan en quelques chiffres
· 93 représentations artistiques (76 concerts payants, 14 concerts gratuits, 5 rencontres et répétitions)
· 650 artistes invités (60 pianistes, 6 clavecinistes, 2 organistes de 25 nationalités différentes)
· 16 scènes
· Les Ensembles en Résidence (42 master-classes (18 jeunes musiciens et 7 professeurs) qui ont drainé 481 spectateurs gratuits, sans compter les concerts gratuits)
· 61 200 entrées (dont 7,5% de billets moins de trente ans).
· 435 articles de presse (sur différents supports)
D’autres informations (dont toutes les nouveautés de cette année) sont disponibles sur le site du festival : https://www.festival-piano.com/
François-Frédéric Guy © X-D.R.
Adam Laloum © Carole Bellaïch
Quelle ressemblance frappante! Sans indication, la confusion est possible entre les deux musiciens!