Une langue musique

Une langue musique

L’occitan n’est la langue maternelle d’aucun, mais tous le chantent, l’emploient comme outil de création, de poésie, de musique. Aux textes, il y a Lisà Langlois-Garrigue, touchée par la « beauté farouche » des sonorités de cette langue « qui nous permet de lier l’intime et le politique, le lien qui nous permet de dire et de chanter en chœur ».
Les textes de la musicienne et poète s’inspirent des thèmes universels et intemporels, la mort, les violences perpétrées contre les femmes, la vitalité de la langue occitane malgré son oubli programmé, la beauté du monde, les êtres dont la vie est un véritable poème épique.
Les cinq complices de l’ensemble Belugueta se qualifient de « groupe lent » : un seul disque en sept ans ! Et pourtant, quel talent ! Julen Achiary, Lucie Gibaux, Lolita Delmonteil Ayral, Julien Lameiras, suivent les « drailles poétiques » de Lisà Langlois-Garrigue. 

Le travail musical est d’une finesse extrême, les mélodies se déploient sur les rythmes livrés par les voix mêlées des différents interprètes, en un agencement superbement mené de variations de hauteur, d’accentuations sur les crêtes des syllabes, d’accompagnements en arpèges décalés, de notes parfois frottées, empruntant tantôt à la « blue note » du jazz tantôt à l’humus des chants occitans traditionnels, d’arrêts sur un temps suspendu, d’altérations, de changements d’intensité au cœur d’un même morceau, d’arrangements subtils entre impulsions simples et phrases enveloppantes, de cadences aux allures improvisées…  

Belugueta © M.C.

Belugueta © M.C.

On suit avec bonheur l’itinéraire de celle « bercée-née dans le roulis des voix » (« Nescuda dins lo borboth / Las voses per te berçar ») qui rend si bellement hommage à la Lenga d’òc, cette « langue morte, langue vive » (« Lenga mòrta o lenga vivà ») qui apporte l’ivresse. Voici la jeune fille abusée sur un air traditionnel par les Tres Cavalièrs, l’âme qui s’en va, ultime étincelle, sur la mer (« Sus la mar »),  une femme qui « marche sur la terre », « à sa propre mesure » et « tisse les fils de (sa) parure »…

Les langues régionales se conjuguent en écho de part et d’autre de la Méditerranée. L’une des chansons évoque Letizia Giuntini, Tizia, « Bergère d’au-delà de la mer » (« Pastra de delà l’aiga »), qui élève ses chèvres et compose, riant « de son rire de tonnerre », « Reine / des oliviers comme du vent » …
Le concert de Belugueta (l’étincelle) suivait une semaine de résidence au Chantier, cet espace si particulier dédié aux musiques du monde et de création. Le résultat: une nouveauté dédiée aux enfants avec lesquels le groupe a aussi travaillé durant ces journées, hymne à la vitalité qui rompt le fil du temps.

Belugueta © M.C.

Belugueta © M.C.

Le public se laisse emporter dans le tissage des chants, l’enthousiasme des musiciens, la virtuosité de leurs interprétations, les contre-chants incroyables de Julen Achiary, les percussions de Julien Lameiras, les voix entrecroisées de Lucie Gibaux, Lisà Langlois-Garrigue et Lolita Delmonteil Ayral. Un moment d’exception !

Concert donné le 31 janvier à La Fraternelle
CD Belugueta / espogots, Tradethik Productions

Un grand merci à Zoé Lemonnier et la superbe photo qui ouvre l’article!