Dom Juan ou la fatigue des siècles

Dom Juan ou la fatigue des siècles

Macha Makeïeff accordait au final de sa mise en scène de Tartuffe une fin qui faisait penser à celle de Dom Juan : l’hypocrite plongeait dans les flammes de l’Enfer. Lorsque la question était posée à l’artiste de l’écho suggéré entre les deux pièces, elle évoquait son travail débuté sur le Dom Juan de Molière. La fin de cette deuxième pièce donne à entendre un éloge de l’hypocrisie, « ce vice à la mode » qui « passe pour vertu ». Dom Juan projette alors de se dissimuler sous « le manteau de la religion, cet habit respecté ». Pied de nez de Molière aux dévots qui avaient fait interdire son Tartuffe qui les dénonçait si bien !

Entre l’hypocrite dans la société et celui du théâtre (« Hupokritès » (υποκριτής) en grec signifie « l’acteur »), les similitudes s’affirment, mais le premier dévoie et transforme le réel animé de peu louables desseins, le second s’empare de caractères qui ne sont pas les siens et en dévoile les mécanismes : son « mensonge » nous donne à relire le monde.
L’action du Dom Juan de Macha Makeïeff abandonne, pour des raisons de logistique au départ, les cinq décors que réclame la pièce (« ils sont impossibles aujourd’hui : on n’avait la faculté d’utiliser un seul semi-remorque » sourit la metteure en scène lors du bord de plateau suivant la représentation »).

Dom Juan mis en scène par Macha Makeïeff © Juliette Parisot

Dom Juan mis en scène par Macha Makeïeff © Juliette Parisot

La contrainte d’un seul lieu devient un élément dramaturgique : le personnage éponyme de la pièce se voit enfermé dans sa propre maison qui devient elle-même lieu de théâtre et de représentation, gommant le réel pour une vision plus intimiste en écho au personnage de Sade dont la lecture est la pierre de touche du travail de Macha Makaeïeff. Elle utilise ainsi toujours une œuvre particulière afin de mettre en lumière par son détour les enjeux de la pièce abordée : Tartuffe était placé sous l’égide du film de Pier Paolo Pasolini, Teorema (Théorème). Les écrits de Sade, enfermé durant vingt-sept années, inspire l’approche de Dom Juan.

L’œuvre est ainsi transposée du XVIIème au XVIIIème siècle. Les personnages, costumés par Macha Makeïeff, passent par la « chambre » de Dom Juan, lieu d’enfermement intellectuel malgré ses trois portes côté jardin qui battent follement dans l’intermède introductif, rappelant les affolements du théâtre de boulevard, sa porte-fenêtre démesurée au centre et sa petite porte dérobée côté cour, dominée par une fenêtre qui installe, dans la tradition de l’esthétique baroque, ce cadre fermé sous son regard dominant. Tous les personnages passent, entrent, sortent, se donnent en spectacle, comme les inénarrables Charlotte et Pierrot sortis tout droit d’un théâtre de marionnettes ou de la Commedia dell’arte.

Dom Juan mis en scène par Macha Makeïeff © Juliette Parisot

Dom Juan mis en scène par Macha Makeïeff © Juliette Parisot

La démultiplication théâtrale au cœur de cette intelligente mise en abîme se pare aussi de l’univers propre à Macha Makeïeff : un corbeau naturalisé, objet sur lequel parfois la réflexion au sens premier s’élabore, semble tout droit tiré de son exposition Trouble-fête, collections curieuses et choses inquiètes, véritable cabinet de curiosités aussi fascinant que troublant. Les correspondances entre les mises en scène de cette profonde artiste font « œuvre » : au fil des créations, se construit un ensemble cohérent, aux fines imbrications, aux échos, aux effets de miroir, que sous-tend une connaissance et une analyse pertinente et précise.

Malgré le sujet aux tours dramatiques et tragiques d’une violence extrême (le refus de Dom Juan d’adresser la parole ou de regarder Elvire, nie la jeune femme, de même que les mots du père de Dom Juan renient jusqu’à la conception de ce dernier avant sa fin terrifiante), la pièce de Molière est une comédie.

Cet aspect est largement exploité par le jeu brillant des comédiens.
Foisonnent mimiques, changements de ton, jeux sur le langage, fausses confusions…

Sganarelle mélange dans son « éloge du tabac», les termes « tabac » et « théâtre », ce qui donne une tournure espiègle à la phrase « non seulement (le tabac/théâtre) réjouit et purge les cerveaux humains mais encore il instruit les âmes à la vertu, et l’on apprend avec lui à devenir honnête homme ».

Dom Juan mis en scène par Macha Makeïeff © Juliette Parisot

Dom Juan mis en scène par Macha Makeïeff © Juliette Parisot

Les personnages campés par Vincent Winterhalter dans Sganarelle ou Xavier Gallais dans le rôle-titre sont ambigus à souhait. Dom Juan est ici fatigué, comme épuisé par ses frasques, crépusculaire dans ses quêtes éphémères et vaines : rien ne lui réussit, il échoue dans la séduction des deux villageoises, dans sa fuite d’Elvire, dans sa tentative de convaincre le personnage du pauvre de jurer, et il s’aveugle lui-même de ses feux passés, ne percevant pas le gouffre qui s’ouvre à lui et le condamne. Les attitudes empruntées aux torsions d’un Saint-Jean-Baptiste en une capiteuse inversion de la sainteté, les regards las, les soupirs désabusés en font un anti-héros superbe. Le voici « enfermé chez lui dans une forme d’errance intérieure et quasi hallucinatoire » explique la metteure en scène.

La présence du père (Pascal Ternisien) qui le maudit renvoie à un patriarcat qui fabrique des monstres. « Le patriarcat fait le malheur des femmes mais aussi celui des hommes, reprendra Macha Makeïeff lors du bord de plateau, mené avec le psychanalyste Hervé Castanet, alors que le personnage d’Elvire (Irina Solano) doit beaucoup au contemporain me#too, elle a appris à dire non et sa dernière tirade scelle une forme de rédemption ». L’ambivalence des personnages est mise en évidence, et « nous renvoie à nos propres équivoques » (M.M.).

Dom Juan mis en scène par Macha Makeïeff © Juliette Parisot

Dom Juan mis en scène par Macha Makeïeff © Juliette Parisot

 Si la période prérévolutionnaire est choisie pour actualiser la pièce c’est parce qu’elle correspond à une incarnation de ce qui provoquera 1789, l’introduction du mal dans la littérature condamne une certaine forme de société et de répartition des pouvoirs. La liberté revendiquée du noble se vide de sa substance. Dernier clin d’œil à la condition contemporaine, le commandeur est interprété par une femme, véritable « poupée automate » (Xavérine Lefebvre). L’ironie ne cesse de nous interroger.
Un moment d’anthologie !

Spectacle donné du 15 au 18 octobre au Jeu de Paume, Aix-en-Provence  

Entre les dieux et les hommes

Entre les dieux et les hommes

Trois levers de rideau et un véritable triomphe à la première du « dramma per musica » de Monteverdi, Il ritorno d’Ulisse in patria dans une mise en scène de Pierre Audi.

Le Festival d’Aix poursuit son cycle Monteverdi avec une œuvre particulièrement chère au directeur du Festival, car il s’agit de sa première mise en scène en 1990 à l’Opéra d’Amsterdam. Pariant sur une phalange de jeunes chanteurs-acteurs au curriculum déjà prestigieux, une scénographie sobre jouant sur une structuration de plateau géométrique définie par de grands panneaux mobiles et des variations de lumière tranchées, Pierre Audi offre une lecture fine de la partition du compositeur de Crémone, jouant sur les corps, les contrastes entre la danse, les élans sensuels des mortels et les déplacements hiératiques et codifiés des dieux.

Une exception parmi les êtres humains, le personnage de Pénélope, la mezzo-soprano Deepa Johnny aux inflexions dorées et profondes, évolue, statue vivante, drapée dans des étoffes amples et moirées comme sa voix. Inhumaine dans sa stoïque vertu, elle a quelque chose de l’intransigeance divine. Les raisons pour lesquelles elle refuse les prétendants sont parfois ambiguës, elle mime un intérêt, se replie sur sa volonté de ne plus aimer, car l’amour ne peut se solder que par des souffrances. « Pénélope aux mille ruses » dans sa capacité à maintenir les attentes et éviter un choix que les rois de Grèce veulent lui imposer sans mettre son île, Ithaque, à feu et à sang, elle campe sans doute la première héroïne tragique d’opéra. On la voit traverser la scène sur laquelle un immense triangle d’ombre inversé noie l’angle central sur lequel se referment et s’ouvriront les murs mobiles qui modulent l’espace.

Le retour d'Ulysse dans sa patrie © Festival d'Aix

Le retour d’Ulysse dans sa patrie © Festival d’Aix

On est tenté de s’interroger sur cette forme géométrique, stylisation d’un sexe féminin, symbole de l’enjeu de l’œuvre : le remariage de la reine d’Ithaque en l’absence d’Ulysse, ou clin d’œil au delta maçonnique et à La Flûte enchantée de Mozart ?  Les lectures possibles foisonnent dans cette œuvre où le monde des dieux est annoncé par des lumières crues et une ligne de néon qui descend des cintres au centre de l’action, tel l’éclair du foudre de Jupiter.

On est en Italie, les noms grecs sont romanisés. Les dieux, dans leurs toges bleues, décident du sort des mortels, que commentent les Allégories. En ouverture, le prologue de L’humana fragilità (Paul-Antoine Bénos-Dijian), Il Tempo (Alex Rosen qui sera aussi Antinoo et Nettuno aux beaux effets de basse) évoquent les faiblesses humaines et l’instabilité de leur sort où ne reste que l’Amore (Mariana Florès qui campe une superbe Minerva) comme possible échappatoire.  Les Allégories vêtues de blanc, rampent, s’étreignent, se heurtent… John Brancy (Ulisse) est d’un naturel confondant, passant du personnage déçu par ceux par qui il croit avoir été trahi à celui qui écoute sa déesse protectrice, Minerva, se grime en vieillard mendiant, en roi vengeur, en amant qui cherche à reconquérir Pénélope.

Le retour d'Ulysse dans sa patrie © Festival d'Aix

Le retour d’Ulysse dans sa patrie © Festival d’Aix

La distribution sans faute permet de croiser Anthony León, émouvant Télémaque, Marc Milhofer qui varie avec souplesse son expression entre Giove (Jupiter) et Eumete (Eumée, le berger), Marcel Beekman désopilant et peu à peu touchant dans le rôle carnavalesque de Iro, le glouton, sans compter Petr Nekoranec (Pisandro), Joel Williams (Eurimaco) en prétendants éloquemment arrogants et manipulateurs, et Guiseppina Bridelli dans le rôle de Fortuna et de Melanto, aussi acide et tentatrice que désespérée de voir échouer ses essais de convaincre Pénélope à suivre les appétits charnels des prétendants. La partition baroque aux sublimes madrigaux et étonnamment contemporaine dans ses frottements et ses dissonances trouve ici un écrin intemporel et c’est très beau !

Du 17 au 23 juillet, Jeu de Paume, Festival d’Aix

Elle a dit « NON! »

Elle a dit « NON! »

Andromaque de Racine passionnément interprétée au Jeu de Paume dans la subtile mise en scène d’Yves Beaunesne

Ils aiment tous mais sans réciprocité : le célèbre résumé, Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime Hector, tué par le père de Pyrrhus, installe d’emblée la pièce dans un cercle d’impossibilités que rien se peut résoudre. Chacun s’enferme dans l’orbe de sa passion jusqu’à la folie. La démesure, l’hybris de la Grèce antique, se déploie alors, défiant la mesure, et mène, inexorable, à la tragédie qu’irrigue de son souffle l’ampleur des vers de Racine.

 

Aux sources orientales

La scénographie s’inspire de la cour d’un palais de Beyrouth, verrière élégante dont les vitres en partie brisées laissent percevoir dans l’ombre les musiciens qui, entre chaque acte de la pièce, se livrent à de courts intermèdes chantés, accompagnés par un accordéon et un violoncelle. La performance des acteurs qui passent de la « partition » racinienne pliée avec aisance au tempo de l’alexandrin, à la partition musicale est à saluer : aucune rupture de ton, mais une élégante fluidité. La musique composée spécialement pour cette œuvre par Camille Rocailleux sait préserver les couleurs de la mise en scène par un tissage très fin entre les voix et les instruments, renvoyant par ses mélodies et ses accords aux sources antiques. Le texte des chants condense quelques extraits de l’Andromaque d’Euripide. Les sonorités du grec ancien dans sa prononciation érasmienne ancrent le sujet dans son histoire, tandis que les mots de Racine prennent un tour tragiquement actuel : lorsqu’Andromaque rappelle « cette nuit cruelle » où sa ville, Troie, prise par les Grecs, fut détruite, les « cris des vainqueurs » se mêlant « aux cris des mourants », combien d’échos actuels sont éveillés en nous !

Andromaque au Jeu de Paume

Andromaque © Dominique Houcmant

Transmettre

On pouvait s’étonner au départ du choix d’Yves Beaunesne pour incarner le confident d’Oreste de Jean-Claude Drouot, l’immense acteur qui ne peut en aucun cas être réduit à la mythique série Thierry la Fronde dont il fut le héros. Pylade est en effet l’ami d’Oreste. « Il n’est pas contradictoire d’imaginer un ami beaucoup plus âgé. Pylade met en garde Oreste, tente de le modérer, de l’avertir. Son expérience lui donne une épaisseur », explique le metteur en scène. On se laisse séduire par ce choix. Pylade (Jean-Claude Drouot) fait figure de sage, sacrifié (seule entorse à la pièce de Racine) par la folie d’Oreste, il meurt en essayant de protéger son ami de lui-même. L’intrigue est portée avec puissance par la talentueuse phalange de comédiens réunis par le metteur en scène ; Milena Csergo , épaulée par sa confidente Céphise, Johanna Bonnet-Cortès, campe une Andromaque hiératique et émouvante, murée dans son refus d’épouser Pyrrhus, bouleversant Léopold Terlinden capable de tout sacrifier à son amour, malgré les injonctions de Phoenix, son gouverneur, Christian Crahay, tandis que, tout aussi excellent, Oreste, interprété par Adrien Letartre, donne la réplique à une Hermione fantasque, Lou Chauvain, qui oscille entre l’attitude d’une noble princesse et celle d’une enfant capricieuse et butée, secondée par sa confidente, Cléone, spirituelle Mathilde de Montpeyroux. Ces deux dernières apportent la dimension du rire et de l’humour de la pièce.

La légèreté accorde par effet de miroir davantage de profondeur aux enjeux, souligne la spirale de la folie qui emporte tout, sous le regard muet du jeune Astyanax (Niccolo Wagner à l’écran) projeté sur le décor de fond de scène, catalyseur de toutes les tensions. C’est lui dont les Grecs par l’entremise d’Oreste veulent la tête, craignant que, devenu grand, l’enfant ne souhaite venger son père, Hector et sa ville, Troie. Son sort devient objet de chantage de la part de Pyrrhus… Le passé hante le présent, sa cruauté infinie empoisonne les survivants et leurs relations : la guerre de Troie continue ses ravages bien après sa fin. Les blessures ne se referment jamais vraiment… Hermione souhaiterait que l’Épire, royaume de Pyrrhus, soit une nouvelle Troie, et elle une sorte de seconde Hélène, tandis que Pyrrhus cherche à abolir cette relation au passé : il souhaite détruire la mémoire de ses actes anciens pour une nouvelle naissance scellée par un mariage avec Andromaque. Cette dernière, femme, captive, assujettie à un destin qu’elle ne maîtrise plus, dit « non » et par là, infiniment contemporaine, dresse une image neuve et intemporelle de la résistance.

Andromaque au Jeu de Paume

Andromaque © Dominique Houcmant

 La finesse du jeu des acteurs, la limpidité de leur diction, l’intelligence des textes, la pertinence des variations, la beauté des lumières qui sculptent l’espace scénique, tout concourt à construire une lecture aiguisée de la pièce de Racine. Un diamant taillé !

Du 2 au 4 février, Jeu de Paume, Aix-en-Provence

Découvrir à nouveau Vivaldi!

Découvrir à nouveau Vivaldi!

Programme taillé sur mesure pour l’ensemble baroque Café Zimmermann que ce spectacle 100% Vivaldi entrelaçant musiques instrumentales et airs portés par l’étoile montante qu’est le contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Dijan

La familiarité de Café Zimmermann avec les Théâtres, – douze années de résidence sont au compteur au Grand Théâtre de Provence et au Jeu de Paume- , permet la pointe d’humour du titre du dernier concert concocté autour de l’œuvre du prêtre roux : « Du nouveau ? Du Vivaldi ? ». En effet, l’ensemble est allé dénicher des pièces moins jouées que les sempiternelles, mais belles, Quatre saisons du compositeur vénitien ! Accomplissant un travail de recherches approfondies, Café Zimmemann, mené par Céline Frisch au clavecin et Pablo Valetti au violon, s’appuie sur les indications de manuscrits encore inédits, pour l’interprétation des pièces instrumentales et présente même deux inédits. « Du nouveau » donc sur instruments anciens et une phalange d’artistes talentueux réunis autour des deux fondateurs, Mauro Lopes Ferreira, David Plantier (violons), Nuria Pujolràs (alto), Petr Skalka (violoncelle), Davide Nava (contrebasse), Shizuko Noiri (luth), Alexandre Zanetta et Felix Polet (cors). On se laissait séduire par la Sinfonia anvanti l’opera Baiazet et sa joie exubérante. Non, rien à voir avec le Bajazet de Racine, le personnage tragique suit le modèle du jeune frère de Mourad IV Revan Fatihi (le « Conquérant d’Erevan ») de la première moitié du XVIIème siècle (afin de ne pas avoir de concurrents pour le trône, il fit assassiner ses deux cadets) tandis que le personnage de l’opéra de Vivaldi est inspiré du sultan ottoman Bayezid Ier qui fut fait prisonnier de guerre par le terrifiant guerrier turco-mongol Tamerlan aux débuts du XIVème siècle. Le Concerto pour deux cors en fa majeur RV 538 offrait à ces deux instruments des passages solistes et des duos d’une rare intensité sur des instruments difficiles (les cors de l’époque de Vivaldi ne connaissaient pas les pistons…).

Le clavecin rejoint le violoncelle en une mélancolie délicate, les cordes font écho aux arpèges des cornistes… L’ensemble coloré des instruments se pare de nouvelles intonations aux côtés de Paul-Antoine Bénos-Dijan dont la voix de haute-contre, déliée et expressive épouse les volutes mélodiques et leurs intentions avec brio. Les graves sont larges, les aigus superbement affirmés. Le jeune chanteur joue quasiment « à la maison », sa première formation s’est déroulée à Montpellier et il a déjà été applaudi au Jeu de Paume dans le rôle d’Ottone (Incoronazione di Poppea de Monteverdi lors de l’édition 2022 du Festival d’Aix-en-Provence). Il plie ses modulations aux acrobaties et appoggiatures en tout genre que réclame l’air du temps baroque. Cependant jamais les ornementations ne semblent inutiles, elles servent le propos, se fondent dans la ligne mélodique en nécessaires évidences. En bis, il donnera la réplique au cor solo tenu par Alexandre Zanetta, les deux musiciens rivalisent avec aisance, osent des variations nouvelles en une mutine musicalité que suit un auditoire fasciné.

On ne retiendra pas les quelques maladresses des cordes lors des passages les plus virtuoses, les partitions de Vivaldi sont loin d’être simples, le compositeur violoniste virtuose composait à l’aune de ses capacités. Mais la vivacité de l’ensemble, sa verve, son intelligence des textes, son harmonie générale, sa curiosité qui le pousse à sans cesse aborder des registres nouveaux, en font l’un des plus intéressants et attachants du moment.</p>
<p>Le 23 novembre, Jeu de Paume.  Café Zimmermann

Café Zimmermann © Jean-Baptiste Millot

On ne retiendra pas les quelques maladresses des cordes lors des passages les plus virtuoses, les partitions de Vivaldi sont loin d’être simples, le compositeur violoniste virtuose composait à l’aune de ses capacités. Mais la vivacité de l’ensemble, sa verve, son intelligence des textes, son harmonie générale, sa curiosité qui le pousse à sans cesse aborder des registres nouveaux, en font l’un des plus intéressants et attachants du moment.

Le 23 novembre, Jeu de Paume

Aux frontières des mondes naissent les contes

Aux frontières des mondes naissent les contes

Une fois de plus le Festival international d’Art lyrique d’Aix-en-Provence s’affirme comme lieu de création. Le très attendu Picture a day like this du compositeur George Benjamin qui nous avait séduits avec le monument qu’est Written on the skin, renoue avec les contes des origines. 

Le récit écrit par le dramaturge, complice de longue date du musicien, Martin Crimp, dans un style en épure, très resserré, met en scène une femme qui vient de perdre son enfant, alors qu’il commençait à former ses premières phrases.

Refusant sa mort, elle va tenter de le ramener à la vie. Il lui faudra rapporter le bouton du vêtement d’une personne heureuse. Trois « Parques », personnages aux habits noirs surgis au moment du deuil, lui tendent une feuille de route désignant les personnes qu’elle devra rencontrer et solliciter. Une note de piano, prélude à un chant dépouillé où naissent naturellement quelques mélismes éclot dans le miroitement des ombres rendant le noir vivant comme un tableau de Pierre Soulages.

 

Picture a day like this - Festival d'Aix-en-Provence 2023 © Jean-Louis Fernandez

Picture a day like this – Festival d’Aix-en-Provence 2023 © Jean-Louis Fernandez

Le Mahler Chamber Orchestra dirigé par le compositeur épouse les variations du texte, le chatoiement de ses nuances, telle une toile moirée. Marianne Crebassa apporte à ce dénuement le velours de sa voix de mezzo-soprano, émouvante dans sa droiture et sa retenue, rendant plus tangible encore sa colère devant l’atroce perte. Elle croise des Amoureux, Beate Mordal et Cameron Shahbazi, mais l’Amant proclame son engouement pour le polyamour. L’Amante le rejette alors. La soprano amoureuse deviendra plus tard une Compositrice bipolaire arrogante et égarée dans les affres de la composition, changement de rôle jubilatoire ! Le baryton à la tessiture vertigineuse, John Brancy, campe un Artisan versatile qui trouve le bonheur dans sa « molécule de chlorpromazine » puis un Collectionneur qui cherche à être aimé de la Femme en échange du bouton.

Enfin, dans un jardin merveilleux (vidéo somptueuse du plasticien Hicham Berrada), elle rencontre Zabelle, subtile Anna Prohaska, qui pourrait être aussi cette Femme, et qui est heureuse seulement parce qu’elle n’existe pas… Le retour au réel, au cœur des trois murs en miroirs opacifiés de la scénographie de Daniel Janneteau et Marie-Christine Soma, se teinte alors de fantastique, un bouton brille dans la main de la mère. 

Picture a day like this - Festival d'Aix-en-Provence 2023 © Jean-Louis Fernandez

Picture a day like this – Festival d’Aix-en-Provence 2023 © Jean-Louis Fernandez

La fin reste ouverte, le monde intérieur, l’espace de jeu, le livret, la musique, sont en symbiose totale, dans cette bulle onirique et poétique. Un spectacle envoûtant et hypnotique.

Du 4 au 24 juillet, Jeu de Paume, Festival d’Aix-en-Provence