Le nouveau livre de Dorothée Xainte (autrice de Ceux que nous sommes), Castor affairé, regroupe sept histoires autour du castor. Le sujet ainsi présenté pourrait apparaître simple voire enfantin. Il n’en est rien même si la limpidité du style accorde un ton d’évidence aux récits. Le titre déjà est polysémique. Certes, le « castor affairé », traduction littérale de l’expression anglaise « busy beaver » désigne une personne travailleuse, il correspond aussi, en théorie de la calculabilité, une machine de Turing. On ne s’étalera pas sur les vertus mathématiques de la « fonction du castor affairé », mais on retiendra juste que ce type de fonction n’est pas calculable et qu’à partir d’un certain point elle croît même plus rapidement que n’importe quelle fonction calculable, ce qui poétiquement est tout juste fascinant.

L’enchaînement des sept nouvelles du recueil nous fait voyager dans l’espace et dans le temps entre le XVème et le XXIème siècles passant de la France aux Amériques et à l’Angleterre. Tout commence en 1488 dans l’Aveyron à Pont-de-Camarès, par une histoire de sorcière, « La femme aux bièvres ». Dafné Castanet, consultée, sollicitée par tous lorsqu’un moment de la vie les embarrasse, est aussi mise au ban de la petite société villageoise dont elle connaît sans doute trop d’inavouables secrets. Elle a établi des liens particuliers avec la faune sauvage et les bièvres (autre nom du castor) dont elle se sert pour certaines potions censées revigorer les uns, apaiser les autres, guérir, aider…
Au-delà de l’anecdote rapportée, c’est tout un monde qui renaît. Aux côtés de la grande histoire qu’une date situe en exergue de chaque récit, adossée aux lieux géographiques de l’action, se tisse celle des petites gens, familière et lointaine, qui rassemble les éléments du quotidien, évoque les manières d’être, les croyances, les superstitions, souligne la part d’influence des remuements du monde sur les sociétés humaines et animales.

Castor affairé, Dorothée Xainte, ETT

Aucun jugement ne se pose, seulement un regard attentif et empathique. On comprend la réaction de Jolan, l’indien d’Amérique, qui fait tout pour éviter le mariage avec l’un des colons blancs que l’on veut imposer à sa fille. Le titre initial de la nouvelle Le grand castor/ Port Royal, Nouvelle France, 1608, est « L’homme qui dit non ». Un véritable parcours initiatique se dessine, faisant se rejoindre jusqu’à se confondre l’être humain et la nature sauvage, en une entente mystique qui mène à une ataraxie bienheureuse. Le castor se transforme alors en être psychopompe qui permet aux âmes d’accéder à l’au-delà.

Le castor n’est pas seulement un animal dans ce recueil, mais un intermédiaire, source de magie, de communion avec la Terre, ensorceleur, symbole d’un combat écologiste, occupant étrange et parfois inquiétant des lieux arrachés par l’homme à la nature. Il sera capable de rendre fou le chapelier de Londres, sera utilisé pour fixer les parfums les plus envoûtants de Paris dans Fragrance, sera objet d’observation éthologique dans Jaune d’Arles sur fond de lutte syndicale et de trahison, occupe les lieux abandonnés, tend à remplacer l’espèce humaine, son corps étant bien mieux adapté… Le fantastique se glisse ça et là. On entre avec délices dans l’atmosphère des contes, des histoires transmises à la veillée.

Castor © X-D.R. (source Wikipédia)

Castor © X-D.R. (source Wikipédia)

Chaque texte suit son propre mouvement, adopte le style et l’allure de l’époque concernée, prend des airs de journal intime, d’échange épistolaire. Les récits s’appuient sur un croisement fin entre narration et dialogues. Le sous-titre « histoires d’envoûtements » donnait le ton… le lecteur est captivé : on ne lâche pas le livre avant de l’avoir fini et son épilogue est d’une délicate fraîcheur qui s’achève par une pirouette espiègle.

Castor affairé, Dorothée Xainte, Éditions Territoires Témoins