Le Festival Côté Cour fête sa cinquième édition en découvrant de nouveaux lieux, comme la « cathédrale souterraine » de Saint-Martin- de-Pallières (Var). Les musiciens sont toujours animés de la même énergie et d’un talent qui se bonifie année après année.
C’est avec La Camerata que Marie Laforge (flûte traversière) et Léo Doumène (harpe), fondateurs et directeurs artistiques du festival offraient un concert original et passionnant sous les voûtes fraîches de la cathédrale souterraine (en réalité une ancienne citerne de 550 m2 scandés par vingt piliers) en partenariat avec le festival Les Concerts en Voûtes.

« Onze musiciens s’encanaillent à la campagne », sourit Michel de Boisgelin, magicien des lieux, en introduisant le spectacle devant une salle comble. Marie Laforge et Léo Doumène se partagent le rôle de cicerone pour évoquer les artistes et les musiques interprétées, livrant des anecdotes relatives aux œuvres et à leurs compositeurs tandis que les instrumentistes se réorganisent selon les pièces, réduisant ou augmentant leur effectif. La Camarata avec ses violons (Roxanne Rabatti, Laetitia Amblard, Khoa-nam Nguyen), violoncelle (Paul-Marie Kuzma), alto (Oriane Pocard-Kieny), basson (Antoine Berquet), cor (Félix Polet), clarinette (Joséphine Besançon), hautbois (Bastien Nouri), constituent un ensemble nuancé, dont la palette colorée laisse à chaque ligne mélodique son épaisseur en la tissant finement aux autres voix. La scène éclairée par une armada de bougies accueille les sonorités flattées par l’acoustique du lieu dans une atmosphère dorée qui prolonge la poésie des œuvres.

Festival Côté Cour 2025/ Saint-Martin-de-Pallières © M.C

En ouverture, le Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy donnait l’aune de l’acoustique de la cathédrale. La flûte de Marie Laforge aux accents veloutés y prenait une nouvelle ampleur, jouant avec les harmoniques des voûtes. On se laissait emporter dans les sublimes empâtements d’où s’élevaient d’aériennes mélodies. La harpe et la flûte semblaient former l’ossature du propos tandis que se dessinaient les songes éveillés du faune au sortir de sa sieste, laissant goûter aux fragrances des fleurs, des souffles légers du vent. Douceur agitée de mille mouvements, frémissements, froissements, délicatesse…  

Suivait le lumineux Tryptique Champêtre pour flûte, harpe et trio à cordes de Charlotte Sohy (1887-1955). Cette compositrice qui apprit le solfège dans la même école que Nadia Boulanger, signa souvent ses œuvres sous des pseudonymes masculins dont « Charles » en souvenir de son grand-père maternel, Charles Sohy, ceci lui permettait d’éviter la sempiternelle remarque « Ce n’est pas mal pour une femme » ! Mariée au compositeur et chef d’orchestre qui ne cessa de la soutenir, Marcel Labey (1875-1968), elle écrivit des livrets d’opéra, dont le sien, un grand nombre de pièces musicales, une symphonie, et eut même sept enfants ! Le Triptyque Champêtre, écrit en 1925 correspond à une période faste et foisonnante de productions.

Festival Côté Cour 2025/ Saint-Martin-de-Pallières © M.C

On est séduit par la puissance d’écriture des différents mouvements, Enchantement matinal, Au fil de l’eau, Danse au crépuscule. Le premier est amorcé par les notes de l’alto suivies par celles des autres instruments qui s’ajoutent un à un, dessinant chacun une nouvelle strate mélodique. Les frémissements de la harpe soulignent le caractère impressionniste de la scène sur l’eau. La légèreté du monde se teinte d’une sourde mélancolie tandis que sont brossés avec vivacité de délicats tableaux de genre dont certains accents semblent précéder les accords de L’histoire du soldat de Stravinsky et d’autres accompagner les évolutions de la « danse nouvelle » d’Isadora Duncan.

Léo Doumène sourit en évoquant les circonstances de la composition de l’Introduction et Allegro pour flûte, clarinette, harpe et quatuor à cordes de Maurice Ravel. Cette pièce lui fut commandée par Alfred Blondel (inventeur du double échappement pour piano droit) pour mettre en avant les pianos de la marque Erard dont il dirigeait alors la maison : une manière de mettre en avant les qualités d’un instrument était de demander à un grand compositeur de créer pour lui. Poursuivant l’anecdote, la marque Pleyel passa commande à Debussy. Erard comme Pleyel produisaient aussi des harpes. Le harpiste s’amuse de la destinée des unes et des autres, à cordes croisées chez Pleyel et dotée de sept pédales à double mouvement chez Erard, permettant de jouer dans tous les tons. Quoi qu’il en soit, on est séduit par les ruptures de rythme, les couleurs, les subtiles dissonances, la vie qui anime tout cela, laissant de superbes parties solistes à la harpe.

Festival Côté Cour 2025/ Saint-Martin-de-Pallières © M.C

La totalité des musiciens se retrouvait pour Ma Mère l’Oye que Ravel composa pour les enfants de ses amis Ida et Cipa Godebski, Jean et Mimi, s’inspirant des contes de Charles Perrault. La version initiale à quatre mains fut ensuite récrite pour l’orchestre et les complices de l’ensemble Camerata avec Léo Doumène et Marie Laforge en ont concocté une version, brillante, spirituelle et pleine d’allant. Répondant par un bis à l’ovation du public, les musiciens offrirent une Danse hongroise de Brahms endiablée. Délicieux bonheur d’été !

Concert donné le 16 juillet 2025 à la cathédrale souterraine dans le cadre du Festival Côté Cour  

Photos © M.C.

Festival Côté Cour 2025/ Saint-Martin-de-Pallières © M.C