Un Requiem de Verdi d’anthologie sous la baguette de Jérémie Rhorer au Grand Théâtre de Provence !
Composée pour solistes, double chœur et orchestre, la Messa da requiem de Giuseppe Verdi fut achevée en mémoire du poète Alessandro Manzoni, fortement engagé pour l’unité italienne au sein du Risorgimento, à l’instar de son ami compositeur dont le nom devint l’acronyme du slogan « Victor Emanuele Re d’Italia » scandé dans l’acclamation « Viva Verdi » lancée par les partisans de la cause nationale d’unification de la péninsule.
Plus complexe fut la conception de l’œuvre, d’abord pensée pour une messe en l’honneur de Gioacchino Rossini, elle n’exista que par sa dernière partie, le Libera me, puis, le Requiem entier fut composé à la mort de Manzoni.
Cette œuvre imposante par sa taille, une heure et demie de concert, et par le nombre de ses exécutants est rarement donnée dans son intégralité.
Aussi le Grand Théâtre de Provence était comble pour écouter le Cercle de l’Harmonie, orchestre en résidence au GTP et le « Audi Jungendchorakademie », « Chœur de jeunes de l’académie Audi » (oui, la marque de voitures allemandes investit aussi dans la culture !) dirigé par Jérémie Rhorer.
Audi-Jugendchorakademie© buero-monaco-scaled
En avant-concert, Joël Nicod présentait les grandes lignes de la conception de l’œuvre et invitait l’altiste Maialen Loth et la flûtiste Anne Parisot pour évoquer leur relation à ce monument mais aussi la facture des instruments utilisés. En effet, le Cercle de l’Harmonie joue sur des « instruments d’époque » ou « historiquement informés ». « Si les cordes se bonifient avec le temps et que l’on peut encore jouer sur des instruments du XVIIème siècle, les instruments à vent se corrodent et se détériorent, ne serait-ce que par le souffle des instrumentistes. Il est impossible de jouer sur une flûte du XVIIIème ! Elles ne peuvent être qu’exposées dans des musées afin de témoigner de leur forme et de leur structure », sourit Anne Parisot. « L’intérêt de jouer sur ces instruments anciens ou leurs copies est aussi technique, expliquait Maialen Loth, le jeu en est différent, les cordes sont en boyau, ce qui rend le contact avec l’archet plus irrégulier, il y a des aspérités avec lesquelles il faut composer, des timbres, des hauteurs, des vibrations à apprivoiser… »
La question du diapason est aussi abordée : Verdi insistait pour que le la servant à accorder l’orchestre soit réglé à 432 HZ, ce qui n’est plus la valeur choisie par les orchestres contemporains.
Les querelles sont nombreuses entre spécialistes, on ne s’y attardera pas ! Quoi qu’il en soit, le diapason de la soirée était verdien et la fougue de l’interprétation n’aurait pas fait rougir une scène d’opéra. Les fastes d’Aïda ne sont pas loin même si le propos a une dimension sacrée.
Diapason © X-D.R.
Jubilations sacrées
L’entrée pianissimo de l’Introït, juste murmurée aux cordes, puis reprise par les voix fraîches et justes du Chœur de jeunes de l’académie Audi, est lumineuse dans son attente recueillie qui s’épanche avec le In excelsis Deo du Kyrie. Puis la vague sublime du Dies Irae (le jour de colère) éclate, immense, poignante, emporte le public dans son éternité par ses quatre accords fortissimo en sol mineur. En sept parties l’œuvre nous fait passer par toutes les émotions. La vie entière se voit résumée entre tutti majestueux et mélodies bouleversantes portées par les quatre solistes, Axelle Fanyo (soprano), Agnieszka Rehlis (alto), Ivan Magri (tenor), Alexander Tsymbanluyk (basse).
Les instruments font partie de la théâtralité de l’œuvre : les trompettes se répondent de la scène au premier balcon, enveloppant de leur sonorités la masse orchestrale, préparant par leur appel l’avertissement double de notre finitude et de la gloire sacrée. On est séduit par les graves, ombres sublimes offertes par le chœur et les différents solistes, sombre et caverneuse par la basse, éclairée de paillettes par la soprano, profonde et large par la mezzo, presque suave par le ténor. La délicatesse des duo, trio et quatuor vocaux, véritables échanges d’opéra, oscille entre la familiarité des échanges et l’aspiration à la transcendance. Grâce à la battue précise et élégante du chef, la musique semble naître du néant et éclore en arcs-en-ciel sublimes et poignants.
Requiem de Verdi au GTP © X-D.R.
On reste subjugué par la fougue virtuose, les orages déchaînés, les clairières méditatives. Les longs applaudissements qui accueillent le final n’arrivent pas à rompre l’enchantement produit. Peu importe pour « celui qui (croi)t au ciel » ou « celui qui n’y (croit) pas », l’émerveillement est le même qui nous rend palpable l’invisible.
Concert donné le 13 novembre 2024 au Grand Théâtre de Provence