Samedi 12 avril, le Festival de Pâques accueillait le Luzerner Sinfonieorchester dirigé par Michael Sanderling dans un programme qui mettait en regard un passé nostalgique avec le Concerto pour piano n° 1 en ré mineur de Brahms et la célébration d’étonnements nouveaux grâce à la Symphonie n° 9, dite du Nouveau monde de Dvořák.
La direction de Michael Sanderling savait mettre en valeur les différents pupitres de l’orchestre, leur musicalité, leur tessitures propres. Se déploient alors des tableaux dessinant plusieurs lointains, dans une imagerie très travaillée. L’égalité de traitement permettra aux auditeurs d’entendre tous les instruments avec l’impression de suivre une partition claire où rien ne se surimprime.
Pas d’emphase dans l’interprétation, mais une simplicité nuancée sur laquelle la partie de piano, tenue par le grand musicien qu’est Rudolph Buchbinder se lovait avec un grand sens du phrasé et une énergie toute de maîtrise. Son jeu très élégant, très assuré, est d’une grande délicatesse, pianissimi parfaitement articulés, intelligence du texte, précision méticuleuse de l’exécution… le pianiste évolue avec aisance dans cette musique qu’il aime et connaît bien (il a enregistré trois fois ce concerto). C’est sans doute pour cela que l’on reste un peu sur sa faim, il manque à cette version, très belle au demeurant, le grain de folie, la ferveur romantique, le sentiment de liberté, la fusion charnelle entre orchestre et piano, la brume de légendes qui enrobe ce concerto si proche dans sa facture d’une partition symphonique.
Luzerner Sinfonieorchester. Michael Sanderling, direction. Rudolf Buchbinder, piano. Grand Théâtre de Provence. 12/04/2025. Aix-en-Provence © Caroline Doutre / Festival de Pâques
Un certain lyrisme est sensible cependant dans cette lecture d’une œuvre qui se refuse à la pyrotechnie mais se pare de couleurs venues du grand Nord. Comme une facétie de collégien, résonnait le bis donné par le pianiste, une variation sur l’Ouverture de la Chauve-Souris de Johann Strauss qui nous ramenait dans l’ambiance d’un concert du nouvel an viennois.
Sans transition, si ce n’est celle de l’entracte, l’orchestre seul cette fois se lançait à la conquête du « Nouveau monde » de Dvořák. Bien nommée, la Symphonie n° 9 du compositeur tchèque a été reprise de nos jours dans nombre de génériques de films, d’émissions, de jeux vidéo, quand on ne trouve pas de similitudes frappantes entre les compositions de John Williams pour Star Wars et l’œuvre de Dvořák ! Symphonie d’un monde qui naît et que ce monde adopte dans ses représentations, quel destin ! Il paraîtrait même que Neil Armstrong en aurait emporté un enregistrement audio lors de la mission Apollo 11 en 1969… première fois où un homme marcha sur la lune.
Luzerner Sinfonieorchester. Michael Sanderling, direction. Rudolf Buchbinder, piano. Grand Théâtre de Provence. 12/04/2025. Aix-en-Provence © Caroline Doutre / Festival de Pâques
Si l’œuvre offre un tableau des États-Unis, elle n’en oublie pas les premiers habitants en incluant leur musique dans sa composition, ainsi, le troisième mouvement, scherzo s’inspire d’une fête décrite dans le Chant de Hiawatha (The song of Hiawatha), poème épique de Henry Wadsworth Longfellow (XIXème siècle), qui est une référence de la littérature américaine d’inspiration autochtone. L’orchestre semble plus libre dans cette œuvre aux accents nourris de jazz et de musiques populaires et a plus d’allant que lors de la première partie du concert. Le caractère expansif de la pièce, sa vivacité, entraînent les musiciens, mais doucement. Les effets superbement amplifiés donnent plus à voir la Suisse qu’un nouveau monde épris de vitesse et d’enthousiasme. Pourtant la clarté des sons, la beauté des différents pupitres, offrent un tableau ample aux nuances subtiles, comme si l’on souhaitait s’arrêter sur une image heureuse où tout semble encore possible dans les étendues immenses à découvrir, effaçant toute tentative dramatique, figeant le monde dans sa beauté… une immobilité salvatrice face aux délires actuels ?
Concert donné le 12 avril au Grand Théâtre de Provence dans le cadre du Festival de Pâques