L’année Cézanne à Aix-en-Provence a suscité nombre de manifestations, art vivant, expositions, conférences… Dominique Bluzet, directeur des Théâtres, ne pouvait résister à exercer son humour potache et convoquer des jeux de mots dont il est friand. Jouer avec le nom de Cézanne ouvrait une perspective asinienne aussi loufoque que jubilatoire : seize ânes !

Ainsi naissaient des balades littéraires et musicales (16 ânes, Oui, Cézanne !) concoctées par le compositeur Marc-Olivier Dupin et scénarisées par l’auteur Ivan Grinberg, au cours desquelles les enfants se promenaient à dos d’âne sur les flancs de la Sainte-Victoire à partir du Tholonet. Les récits menés au rythme des pas des ânes se prolongeaient au Conservatoire Darius Milhaud en novembre avec le conte musical Seize ânes et le voleur, grâce à la commande passée auprès du compositeur et de l’auteur par le Grand Théâtre de Provence dans le cadre de l’année Cézanne 2025, dédiée à l’œuvre et l’héritage de Paul Cézanne à Aix-en-Provence. Des liens se tissent entre les deux évènements, ainsi, l’ânesse du conte porte le nom d’une de celles qui prêtèrent leur dos aux enfants en septembre : Lili.

Seize ânes et le voleur / GTP © X_D.R

Sur scène, la Compagnie Tsipka, composée des musiciens Hélène Giraud (flûtes), Pascal Clarhaut (cornet), Anthony Millet (accordéon), Gabriel Benlolo (percussions), Afaf Robillard (contrebasse) tient en quintette une véritable partition d’orchestre qui dessine les paysages, fait chanter les oiseaux et tympaniser les cigales, s’amuse à reprendre l’air du Duo de l’âne de Messager (dans son opérette Véronique) ou, afin de souligner un élément dramatique, s’emporte en un Dies Irae convaincu, accordant sa palette colorée aux toiles projetées en fond de scène sur un grand écran. Posées en regard de la narration, elles campent les silhouettes des grands pins autour de Bibemus, le sentier qui mène au barrage Zola, le cabanon de Cézanne, sa bonne, sous les traits de La Femme à la cafetière, dont l’air sévère convient au rôle qui lui est attribué, le marchand d’art, sous les traits de L’homme aux bras croisés, la jeune fille, sous ceux de la gravure Portrait de jeune fille, Cézanne lui-même par divers autoportraits, enfin, le clou de la représentation, Les Voleurs et l’âne. Marion Tassou, récitante et chanteuse, donne vie aux protagonistes de l’histoire, le gros marchand qui ahane sur le sentier qui mène à l’atelier du peintre, l’employée de ce dernier qui en garde scrupuleusement l’entrée, la jeune fille qui promène son ânesse, Cézanne enfin, sa bonhommie souriante et son goût pour le canard aux olives. 

 Le sujet est construit sur l’enchâssement entre le rêve, la réalité fictionnelle et les tableaux du peintre (la plupart exposés au Musée Granet lors de son exposition « Cézanne au Jas de Bouffan ») : un gros marchand ahane sur le sentier pentu qui mène à l’atelier du peintre. Ce dernier est absent et la porte de son cabanon est bien gardé par sa bonne. Fatigué et agacé plus que de raison par l’absence du peintre, le marchand s’endort contre un grand pin. À une jeune fille qui passe il demande d’aller chercher le peintre. Elle ne comprend pas Cézanne mais seize ânes et lui ramène le troupeau. Furieux devant tant de bêtise, le marchand entre dans le cabanon, vole une toile parmi celles qui gisent au sol, toutes froissées. Il déballe l’objet de son larcin dans sa chambre d’hôtel. Il s’agit de la peinture Les voleurs et l’âne. La nuit du voleur s’avère cauchemardesque… lorsqu’il se réveille, il est sous le pin face au cabanon de Cézanne qui le réveille gentiment. « Il ne faut pas s’endormir au soleil ! ». 

Les Voleurs et l’âne, Paul Cézanne © X-D.R. image tombée dans le domaine public

La visite de l’atelier peut enfin avoir lieu, nourrie de descriptions gourmandes des tableaux, du traitement de la lumière, des masses, des volumes, des épaisseurs des traits, des couleurs dont les rapprochements chantent, veloutés. Se dévoilent alors les fameux Joueurs de cartes, les dessins, les pommes qui occupèrent une si grande place dans l’œuvre de Cézanne au point qu’il fut surnommé « le peintre des pommes ». Selon lui « La pomme peut tout remplacer, et tout peut être remplacé par une pomme. », il avouait même « avec une pomme, je veux étonner Paris ». Et bien sûr, le tableau Les Voleurs et l’âne occupe une place centrale !
En quarante minutes, tout se déploie avec allant, humour, espièglerie. La saveur des mots se mêle à celle de la partition. Les enfants du public sont captivés et les plus grands se délectent de ce petit bijou.

Seize ânes et le voleur a été joué au Conservatoire Darius Milhaud, Aix-en-Provence le 21 novembre 2025

Les photographies sont © Grand Théâtre de Provence

Seize ânes et le voleur © Grand Théâtre