Au théâtre des Ateliers, Jean-Marie Broucaret et Alain Simon se donnent la réplique dans La Colocation.

Conversations à Bilbao, Le Diable c’est l’ennui, ont déjà réuni sur une même scène les complices de longue date que sont Jean-Marie Broucaret et Alain Simon, tous deux comédiens, metteurs en scène, formateurs et directeurs artistiques, le premier du Théâtre des Chimères à Biarritz, le second du Théâtre des Ateliers à Aix-en-Provence. La composition de ces textes suit chaque fois le même mode opératoire : un sujet est lancé, l’un envoie un premier texte par mail, l’autre a vingt-quatre heures pour lui répondre et l’opération se réitère durant un mois environ. Aucune discussion entre les deux auteurs ne vient guider leur écriture. Aucune concertation ne vient influencer le fil des mots si ce n’est la page précédente.

Le résultat est étrangement cohérent, bâti sur la rencontre de longs monologues ininterrompus qui suivent une progression dramatique, multiplient les échos, les surenchères, les clins d’œil, les images en miroir. 
Les écrits des deux complices s’arc-boutent l’un à l’autre comme pour la construction d’une voûte en ogive, trouvant un équilibre flamboyant. « Curieusement, sourit Alain Simon, lors de la discussion avec le public, nous avons écrit quasiment le même nombre de lignes ! ».

La Colocation / Alain Simon & Jean-Michel Broucaret © X-D.R.

Le sujet enserré dans cette orchestration puissante se dégage au fil des monologues croisés des deux comédiens qui se livrent à l’exercice de la lecture augmentée. Cette forme, « made au théâtre des Ateliers », accorde à tout texte une indéniable portée théâtrale. On n’assiste pas à une simple lecture, mais à une véritable mise en espace des pages, même si les acteurs ne bougent pas de leur chaise, face à un lutrin ! 


Deux vieux messieurs partagent le même lieu. Est-ce un appartement loué à un huitième étage ou une petite maison propriété de l’un d’eux ? sont-ils vivants tous les deux ? lequel a perdu la mémoire ? Deux vies se dessinent, par leurs anecdotes qui sont alors les traits saillants des histoires. De quoi se rappelle-t-on lorsque l’on évoque des êtres que l’on a connus ? De leur profession, leur parcours scolaire voire universitaire, le déroulé de leur fiche Wikipédia ? Ou plutôt les particularités, les bons mots, les potins, un éclat de rire, une blague partagée ? 

La Colocation / Alain Simon & Jean-Michel Broucaret © X-D.R.

Sensiblement les dernières propositions semblent les bonnes ! L’un coincé dans la lucarne d’un garage, l’autre, intrépide au volant d’un side-car, réplique de ceux de la dernière guerre… ces évocations deviennent sujets de disputes intenses. Et on ne parlera pas du petit cheval mongol, du « Tocino de Cielo », « le fatal déguisé en flan », du « banc de la place Picard », d’un pull rouge créant une rupture familiale, d’un frère aîné semblable à un hérisson ou encore d’un géranium, objet de poème, symbole d’amour et de détestation…

Le pouvoir évocateur des objets, leur valeur sentimentale qui repousse des tris pourtant nécessaires, un retour à Montaigne, aux Cinq dernières minutes, un souvenir de Zazie dans le métro de Queneau…, tout concourt à une approche sensible de la vieillesse, de la manière de l’appréhender, de regarder la vie avec un humour potache.
Sans doute la seule manière de rester vivant, absolument !

La Colocation / Alain Simon & Jean-Michel Broucaret © X-D.R.

Encore une pépite qui devrait vite trouver sa place, éditée, sur les rayons des librairies et de nos bibliothèques !

La Colocation a été jouée au théâtre des Ateliers à Aix-en-Provence le 14 novembre

Photographies : La Colocation / Alain Simon & Jean-Michel Broucaret © X-D.R.