On avait applaudi en 2023 au théâtre de l’Archevêché le duo Bert et Nasi dans L’addition mis en scène par Tim Etchells. C’est avec une joie emplie de curiosité que l’on se pressait au théâtre du Jeu de Paume pour retrouver les deux comédiens dans leur nouvelle création, Tonight.
Si les futurs spectateurs avaient consulté la page Facebook des Théâtres, ils avaient déjà pu apprécier l’humour des deux complices annonçant en anglais que leur spectacle serait dans la langue de Shakespeare, « juste pour qu’il n’y ait pas de mauvaise surprise le soir-même… », car french doesn’t sound like english (…) You’ll notice the difference »…
Polyphonie théâtrale
Bertrand Lesca et Nasi Voutsas jonglent entre l’apparence d’une performance improvisée et une écriture aussi rigoureuse que déjantée. « Tout est écrit, même ça, ce que nous disons tout de suite est écrit », affirment-t-ils à un public hilare. Les mots repris, les phrases débutées par l’un, réitérée par l’autre, répétées presque ostinato mais avec toutes les subtiles variantes grammaticales qu’offre la langue anglaise (ne seraient-ce que les insistants « I do », modulés avec gourmandise), créent une trame réjouissante où les réflexions s’infléchissent insensiblement en un flux jubilatoire.
L’art de la digression, du jeu de mot, du glissement de sens apporte une vie exubérante à ce duo qui semble se réinventer sans cesse. Les surtitrages en français donnent juste l’esprit de ce langage mouvant et accordent une allure de surenchère aux propos tenus. La représentation du jeudi 13 novembre s’enrichissait de la présence de Rachel, actrice et traductrice en LSF. Loin d’être « utilisée » comme la vignette des écrans télé, elle était intégrée totalement dans la scénographie, ajoutant à l’humour de l’ensemble, par son jeu, ses gestes traduisant avec éloquence l’intarissable verbe de Bert et Nasi.
Tonight / Bert & Nasi © Claire Gaby
Le décor lui-même, composé de trois chaises, une table à roulettes et d’une paire de rideaux montés sur un portique, s’animait, emballé dans la course folle des deux protagonistes, afin de transcrire une fin du monde démesurée peuplée de squelettes-serpents amoureux, de plafonds de théâtre effondrés et d’un dieu dévorateur digne de la pire des apocalypses ! Tout cela pour conclure qu’en effet, il valait mieux ne pas prévoir d’entracte, car ce moment peut tout faire basculer !
Le public fait totalement partie de la pièce, interpellé, mis à contribution, félicité, taquiné… Tout contribue à repenser l’esprit du théâtre, de renouer avec ses racines, le plaisir de dire des histoires, de conter, d’écouter, de faire entendre, de partager…
L’actualité entre au théâtre
Ce théâtre de l’absurde qui convoque les souvenirs de Buster Keaton ou des Monty Python (jusque dans certains phrasés qui font penser aux dialogues de Sacré Graal ou de La vie de Brian), s’ancre aussi dans les problématiques contemporaines.
Les deux complices s’amusent à imaginer les possibles : le thème abordé peut être lumineux ou sombre, vraiment très sombre… les éclairages entrent dans la danse et illustrent concrètement les mots, passant du noir à la lumière. On souhaiterait que la parole deviennent vraiment performative lorsque Bert et Nasi songent que peut-être un enfant naît cette nuit même à l’hôpital d’Aix et qui trouvera la solution au réchauffement climatique, la culture de la pomme de terre ?, ou encore qu’en cachette les députés se réunissent à l’assemblée nationale et concoctent un budget sur lequel tous sont d’accord et que le monde nous envie…
Tonight / Bert & Nasi © Claire Gaby
La suite, présentant quelques figures bien connues à la plage pour fêter ça, est un exercice de haute volée pour les zygomatiques déjà éprouvés par la question essentielle du « Tonight » joué « Tomorrow » donc nommée « Tomorrow night », mais devenant « Tonight » le lendemain…
Un petit bijou roboratif à déguster !
Tonight a été joué au Jeu de Paume du 12 au 14 novembre.(la pièce a été jouée aussi au théâtre d’Arles et aux Bernardines)

