Depuis 2014 au 35ème Festival international de piano de la Roque d’Anthéron, alors qu’il n’avait pas encore treize ans et déjà récipiendaire du premier prix du 8ème Concours international Tchaïkovski destiné aux jeunes musiciens, Alexander Malofeev revient régulièrement en Provence. Au fil des ans, le pianiste qui avait séduit par sa jeune virtuosité, approfondit son art, prend épaisseur et profondeur dans ses interprétations, choisit des répertoires plus intimes et grâce à une irréprochable technique atteint une maestria expressive rare.
Laissant de côté les morceaux les plus connus du répertoire, Alexander Malofeev choisissait de jouer sans la pause « classique » des applaudissements des extraits des Sept lieder de Mendelssohn de Franz Liszt, Les arbres de Jean Sibelius et la Suite Holdberg d’Edvard Grieg. Les pièces s’enchaînaient comme les pages d’un roman. On passe d’un chapitre à un autre sans avoir envie d’interrompre la lecture : les thèmes se succèdent, les atmosphères s’éclairent les unes des autres. Tout commence par la réécriture, comme si l’artiste souhaitait souligner à quel point toute création s’ancre sur les précédentes et dévoile de nouvelles formes d’expression.
Alexander Malofeev © Liudmila Malofeeva
Franz Liszt transcrit les œuvres des compositeurs qu’il aime, leur témoignant son admiration et en livre sa propre lecture avec ses fulgurances familières, ses rêveries où la matière se dissout, Ailes du chant (Auf Flügen des Gesanges) qui revisitent le printemps et l’hiver, fluides dans l’approche limpide du jeu d’Alexander Malofeev.
Le sentiment romantique de la nature se développe ensuite au fil de la déclinaison des Arbres de Sibelius, le Sorbier en fleur poétise, tandis que se dressent Le Pin solitaire, Le tremble, Le bouleau, Le sapin, ces arbres du grand nord où frémissent les échos de la Valse triste du compositeur finlandais.
Le livre se refermait sur la Suite du Temps de Holdberg que le compositeur norvégien Edvard Grieg composa à l’occasion du bicentenaire de la naissance de l’auteur et dramaturge danois (né dans la même ville que Grieg, Bergen) en 1884.
Comme ce dernier fut un contemporain de Jean-Sébastien Bach, Grieg reconstitue une époque baroque fantasmée où les accents des musiques traditionnelles norvégiennes se glissent, sublimées par le néo-classicisme élégant de cette pièce pour piano, – version originale rarement jouée, lui étant souvent préférée en concert celle pour cordes-.
Grieg écrivit à propos de ses compositions pianistiques : « Bach et Beethoven ont érigé des temples et des églises au plus haut niveau. Je voulais seulement construire des habitations où les gens puissent se sentir heureux et chez eux».
Alexander Malofeev © Liudmila Malofeeva
Emporté dans son monde, le pianiste ferme les yeux, se voûte légèrement sur le clavier, en une conversation intime où les paysages intérieurs rejoignent ceux recréés par la musique.
Éclairer les brumes
La seconde partie donnait à écouter en trois temps (plus d’unité romanesque ici, les univers étaient trop tranchés !) Dans les brumes de Leos Janáček, Les Funérailles de Liszt et les Quatre Préludes et la Fantaisie de Scriabine. Alexander Malofeev donne une version particulièrement sensible et équilibrée de la pièce de Janáček, en dégage la tonalité élégiaque, adopte le ton de la confidence, laisse sourdre la poésie rugueuse et tendre de ces brumes de la Tchéquie. Le concert était joué un 17 octobre, jour anniversaire de la mort de Frédéric Chopin (17/10/1849), aussi, il était presque logique d’introduire dans le programme les Funérailles que Liszt dédia peut-être au compositeur, même s’il ne l’a jamais précisé, ayant écrit cette œuvre en hommage à ses amis disparus lors de l’écrasement de la révolution hongroise de 1818. L’expressivité dramatique de la pièce introduit celle des Préludes de Scriabine et de sa Fantaisie qui compte parmi les plus difficiles écrites par ce compositeur même s’il disait l’avoir oubliée !!! La douceur de certains passages tranche avec l’arc-en-ciel d’accords qui rappellent une tempête pour une conclusion ébouriffante.
Alexandre Malofeev, acclamé par une salle debout offrait trois rappels, constituant une véritable troisième partie, terminant sur une pièce de Haendel qui nous transportait en un temps d’une inoubliable poésie.
Concert donné le 17 octobre 2025 au Conservatoire Darius Milhaud.
Alexander Malofeev © Milagro Elstak