Il y a un plaisir particulier à retrouver la claveciniste Céline Frisch en solo. Certes, ne boudons pas celui de l’écouter en formations à géométrie variables dont l’assemblage est toujours dosé avec justesse, mais l’écoute sans mélange de cette musicienne reste un plat de fin gourmet !
Rares sont les interprètes à savoir tirer de l’instrument à cordes pincées qu’est le clavecin autant de nuances ! Dans son dernier opus, Céline Frisch s’attache aux Partitas, ce recueil de six suites composées par Jean-Sébastien Bach entre 1726 et 1731.  

Il « a la quarantaine bien sonnée lorsqu’il publie, à ses frais, son Opus 1», explique Nicolas Derny dans son intéressante présentation contenue dans le livret du CD, présentation qu’il titre « Gemischter Stil ». Ce « style » musical « mixte » ou « mélangé », selon les traductions, a fleuri en Allemagne pendant la période baroque. Les grandes tendances musicales en vogue en Italie et en France influencent les musiciens allemands qui ne négligent pas certains emprunts et expérimentent ces apports nouveaux. 

Céline Frisch © X-D.R.

Céline Frisch © X-D.R.

Jean-Sébastien Bach s’est plu à explorer les danses caractéristiques du « style français » et ses ouvertures rythmiques.  C’est avec naturel que ces éléments se mêlent dans la musique de Jean-Sébastien Bach.
Les six suites ou « partitas » de Bach constituent le premier de ses recueils des Clavierübung (exercices de claviers). Le foisonnement inventif de ces partitions permet d’arpenter une palette colorée et une variété rythmique rares. Le jeu de Céline Frisch épouse les méandres mélodiques, les contrepoints, les danses, gigues vigoureuses aux effluves de folklore, sarabandes dont la solennité a du mal à faire oublier le caractère espagnol endiablé de leurs débuts hispaniques, allemandes aux atmosphères contrastées, courantes, gavottes, passepied, menuet (danses françaises désignées sous l’appellation générique de « galanteries »)… les lie aux passages plus « savants » que sont les ouvertures, les airs, les toccatas, les scherzos. 

Rien ne semble échapper à la fantaisie du compositeur qui trouve dans ces pièces aux origines multiples un terrain de jeu aux infinies possibilités.
La clarté de l’approche des morceaux fait entendre avec une sorte d’évidence la partie interprétée par chaque main. On a l’impression de lire les partitions, de les comprendre. « Tout en explorant les possibilités de chaque danse pour en repousser les limites, Bach décline une intense palette expressive, de la tendresse la plus désarmée à la détresse la plus poignante, en passant par la joie bondissante », explique Céline Frisch en introduction. Quel bonheur aussi de jouer sur la copie enfin reçue du clavecin Christian Vater de 1738 exposé au Musée des Instruments de Nuremberg, méticuleusement travaillée et ornementée par le facteur italien Andrea Restelli ! 

Céline Frisch © X-D.R.

La joie de l’interprète est sensible : accord subtil entre des pièces, l’instrument et la sensibilité de la pianiste… 
Le velouté qu’elle réussit à apporter à l’instrument, l’ampleur sonore, la délicatesse de l’ensemble, séduisent. Sa connaissance fine de l’œuvre du Cantor qu’elle fréquente depuis l’adolescence contribue à la justesse de ses interprétations et au tissage précis de son jeu qui a l’aisance d’une pratique familière.
Qui a pu penser que le clavecin était monotone et lissé par un son aigrelet ? Ici, on est emporté par esprit d’une vivacité qui ne s’appesantit jamais et se pare d’un inimitable moelleux. Quelle leçon lumineuse d’interprétation !

Bach/ Partitas, Céline Frisch, Outhere MUSIC

Céline Frisch © X-D.R.

Céline Frisch © Jean-Baptiste Millot