C’est cette semaine, les 27 & 28 août 2025, le quatuor Modigliani revient au Festival international de Quatuors à Cordes du Luberon
« Le moyen le plus facile d’entrer dans l’univers de la musique classique c’est le quatuor » sourit Loïc Rio, violon du Quatuor Modigliani. Avec ses complices, Amaury Coeytaux (violon), Laurent Marfaing (alto) et François Kieffer (violoncelle), il propose en deux concerts six œuvres, six mondes, dont la densité est sublimée par le jeu velouté et profond de cet ensemble. Le son des Modigliani, complices, depuis 2013, est reconnaissable : leurs interprétations semblent venues d’un seul instrument à la palette infinie, et aux sonorités sculptées dans la matière.
Loïc Rio a eu la gentillesse de répondre à quelques questions.
Comment se choisit le programme destiné à être joué dans un festival de quatuors ?
Le Festival international de Quatuors à Cordes du Luberon est l’un des rares festivals en France avec celui de Bordeaux (je fais un peu d’auto-promo, puisque Vibre est le festival de Quatuors à Cordes que l’ensemble Modigliani a fondé à Bordeaux !) à être consacré aux quatuors. Il est aussi l’un des plus anciens. Il y a de nombreux concerts lors du festival, aussi nous proposons aux organisateurs des séries d’œuvres, comme chef des menus. Il serait dommage qu’il y ait des soirées présentant les mêmes pièces, même si chaque ensemble a sa manière particulière de les aborder, le public ne suivrait pas !
Notre premier concert, à Cabrières d’Avignon, s’attache à deux quatuors qui ont été commandés par le même mécène, Franz Joseph Maximilian, 7ème prince de Lobkowitz, la même année, 1799, à Haydn et à Beethoven. Ce sera le dernier cycle de Haydn qui ne composera d’ailleurs que deux des six quatuors commandés (c’était la « mode » à l’époque), et le premier de Beethoven qui lui rendra les six quatuors ! Ce qui est intéressant, outre la beauté des œuvres, c’est leur mise en miroir : elles reflètent un tournant dans l’histoire, le passage de l’ancien régime à la modernité.
Quatuor Modigliani © Stephanie Lacombe
Cette modernité est multipliée par le morceau central dû à la jeune violoniste et compositrice Élise Bertrand (elle est née en 2000 à Toulon), « Lui e loro » (lui et eux).
Il s’agit de son premier quatuor. Pourtant elle avait déjà composé une bonne vingtaine d’œuvres lorsque nous le lui avons commandé. Une référence italienne faisait partie du cahier des charges. Elle s’est inspirée d’une photo du village de Monte Cassino qui représente la statue du Christ, seul monument épargné par la Seconde Guerre mondiale. Tout a été reconstruit et elle a été fascinée par cette reconstruction et ce que l’on peut en ressentir. C’est un hommage à la forme sonate mais aussi il y a l’écriture très harmonique de cette jeune compositrice. Nous avons eu beaucoup de plaisir à la jouer de nombreuses fois lors de concerts dans le monde entier. J’espère vraiment que cette pièce restera dans notre répertoire.
Bien sûr, mais j’ai peur d’entrer dans des termes éculés, nous avons à cœur de contribuer à la création et à la soutenir par des commandes à de jeunes artistes.
Il est nécessaire de préciser que tout le monde, à quelques rares exceptions près, a composé pour le quatuor. C’est la base de l’orchestre mais il n’en est pas la version réduite. Il peut exprimer plus de choses, il tient du journal intime où les auteurs se dévoilent, expérimentent, rêvent, analysent…
Le quatuor est l’un des moyens les plus « faciles » pour accéder à la musique classique. En quatuor la musique est en « trois dimensions ». Je me bats contre l’idée souvent reçue d’une musique « monastique » qui découlerait de la pratique du quatuor !
Quatuor Modigliani © X-D.R.
Le second concert qui sera donné à Silvacane présente aussi Hugo Wolf (1860-1903), un auteur peu joué, même s’il est contemporain de Debussy (1862-1918) dont vous interprèterez le Quatuor en sol mineur.
Hugo Wolf est moins connu. Ici, nous jouerons de lui une pièce de genre, une friandise, un souvenir italien, une « Italie alémanique » du nord. C’est une musique assez légère bien que redoutable de virtuosité, une rareté pour le quatuor. Debussy livre par son langage un tel autre monde qu’on a imaginé l’articuler comme ça, avec Beethoven au centre. Nous avons envie aussi de montrer la richesse infinie de la musique pour quatuor, ses inventions, ses échos, ses correspondances. Ce qui est important c’est cette mise en scène entre quatre personnages qui jouent. Chaque quatuor a son identité et chacun tente de donner l’idée de l’esthétique de chaque compositeur avec sa propre patte.
Parmi les six œuvres jouées lors des deux concerts, trois ont fait l’objet d’enregistrement par le Quatuor Modigliani, le Haydn, le Wolf et le Debussy. Votre approche est-elle toujours la même ? Y-a-t-il le plaisir de parcourir à nouveau des pages connues ?
Bien sûr, nous avons évolué. Mais il y a quelque chose de la madeleine de Proust dans ces reprises. Un enregistrement est une photographie du meilleur de nous-mêmes à un moment donné. Quand on a enregistré Haydn, on connaissait moins d’œuvres de lui qu’aujourd’hui. Désormais nous en avons d’autres à notre répertoire, et elles font écho entre elles.
Quatuor Modigliani © X-D.R.
Il y a une dimension physique qui se coule dans notre manière de jouer et qui est différente selon les compositeurs abordés. Chez Beethoven, il y a quelque chose de plus minéral, ailleurs, nous rencontrerons des pentes douces… notre corps a une mémoire et nous retrouvons la dimension physique du son. C’est sans doute aussi de cette manière que chaque compositeur a une identité sonore.
Dans vos programmes, il y a un compositeur que vous reprenez deux fois, et pourtant vous ne l’avez jamais enregistré : Beethoven. Y aurait-il ici le début de quelque chose ?
Les références ne manquent pas pour ce compositeur, et ce n’est pas ce que l’on attend d’un jeune quatuor, aussi, nous n’avons pas commencé par lui. Après Schubert dont nous avons sorti l’intégrale, il n’est pas impossible que nous nous attaquions à un autre monument !
Votre définition du quatuor ?
Un quatuor ça ressemble à une équipe de foot ou de copains !
Le 27 août, à 18h 30, église Saint-Vincent à Cabrières d’Avignon
Le 28 août, à 18h 30, abbaye de Silvacane, La Roque d’Anthéron
Festival international de Quatuors du Luberon
Réservations
· En ligne sur le site du Festival www.quatuors-luberon.org
· Par téléphone au 07 77 34 42 25
Nota bene
Cette année démarre une résidence de trois saisons à la Maison de Radio France pour le Quatuor Modigliani. Leur premier concert (mardi 23 septembre 2025 à l’auditorium de la Maison de la Radio) reprendra les quatuors de Haydn et de Beethoven qu’ils joueront ce 27 août à Cabrières d’Avignon ! Ils rappellent à cette occasion que le mouvement lent du Quatuor n° 8 de Beethoven aurait été composé « devant le ciel étoilé du silence de la nuit »… magies à venir !