Spécialiste de la danse, des relations entre le corps, la conscience, le mouvement, les imaginaires, Alice Gervais-Ragu est aussi sensible au tissage des mélodies. Son travail poétique semble naître de la conjonction entre mythologies personnelles et universelles tout en s’ancrant puissamment dans un réel nourri de légendes. Dans La dernière forêt, paru aux éditions « sans crispation », elle aborde le quotidien dans sa simplicité lumineuse et le transporte dans un univers où le temps est à la fois universel et celui de l’instant.
L’essence des êtres et des choses se recueille dans leur mouvement, leur aptitude à esquisser des atmosphères : « Aujourd’hui est une journée à clavecin » affirme le premier vers du recueil. Plus tard, dans la lignée de son premier ouvrage, Reprendre trois fois de tout, présenté comme « danser une écriture du trop », elle s’interroge : « Contenons-nous le monde ? ». 

Le geste pour « la geste », le mouvement pour le devenir, l’allure de la course pour mieux dessiner les attentes…
le corps et ses incarnations devient signifiant. La maternité devient un acte universel et poétique… « Avant que d’être une femme, je suis un geste de femme ».
Ce qui est fascinant dans ce livre réside dans sa capacité de débuter par une simplicité familière pour en arriver au mythe.
Une sorte de double mouvement établit des ponts entre l’humus collectif des mythologies du monde mais aussi semble esquisser la formation de ces mêmes mythes à partir du quotidien.
La maternité est alors universel récit des origines. 

Alice Gervais-Ragu © X-D.R.

Il y a peu de ponctuations dans ce texte, pas de point qui referme les phrases, mais des points d’interrogation, des virgules, des points de suspension… en fait, seulement les ponctuations qui donnent un autre élan au texte le mettent en suspens, dans la fragilité d’un mouvement qui va déboucher sur un autre, fluide.

Les êtres sont emportés dans ce mécanisme des métamorphoses : « Désormais, selon les heures de la journée, et en fonction des saisons, il prend la forme d’un cerf, d’un chasseur ou d’un arbre ». Ces incarnations multiples s’accordent à une vision mythologique mais aussi écologique.
Le récit, lyrique, tellurique, mythologique, retrace une histoire d’amour qui passe par les mythes d’Artémis ou Diane, la légende d’Actéon, le jardin d’Eden, le Cantique des Cantiques du Roi Salomon, le rite celte de Samain… 
La naissance évoquée appelle des renaissances, une fusion entre les états Humain, Animal et Végétal, hymne somptueux à la vie…

La dernière forêt, Alice Gervais-Ragu, éditions sans crispation

Détail émouvant, c’est la mère d’Alice Gervais-Ragu, la poète et plasticienne Li Ragu qui a été chargée par l’autrice de concevoir la première de couverture….  

La dernière forêt, Alice Gervais-Ragu, collection Les Utopiques-Poésie, éditions sans crispation. (ce livre a été présenté lors de la fête des Eauditives, le 23 mai 2025 à la médiathèque de Brignoles)

Photographie Alice Gervais-Ragu, droits réservés (X-D.R.)