Connu par le biais des réseaux sociaux, ce qui est peu commun dans le domaine de la musique classique, Cateen, pseudo d’Hayato Sumino, jouait le marathon d’une nuit du piano à La Roque d’Anthéron : deux concerts complets séparés par un simple entracte.
On est d’abord un peu méfiant devant le phénomène du net : le parcours est pour le moins atypique ! Et pourtant, le jeune pianiste né un 14 juillet 1992 est actuellement l’élève de Jean-Marc Luisada qui a enchanté le Théâtre des Terrasses de Gordes cette année dans le cadre du Festival. Le maître a d’ailleurs poussé le jeune prodige à s’inscrire au 18ème concours Chopin à Varsovie (il ira jusqu’en demi-finale, ce qui est déjà un exploit). Par ailleurs, il a également remporté le troisième prix du concours de piano de Lyon, le grand prix du concours de piano PTNA au Japon et la médaille d’or au concours international de piano Chopin en Asie.
Pour son unique concert en France, Hayato Sumino venait pour cette nuit du piano mémorable sous la conque du parc de Florans avant de plier bagages pour jouer le lendemain à Londres.
Le jeu tout en légèreté du jeune pianiste s’attachait lors de la première partie à un programme fort classique allant de la Sonate n° 11 de Mozart à la Polonaise en la bémol majeur « Héroïque » de Chopin en passant par le Concerto italien en fa majeur de Bach et la Ballade n° 2 de Chopin.
L’originalité de l’artiste se dessinait déjà ici par son approche des morceaux, composant pour chacun une courte introduction, s’inscrivant dans une esthétique baroque qui se plaisait à l’exercice de l’improvisation.
Le jeune musicien reprend cette tradition laissée de côté au XXème siècle alors qu’elle était pratique courante durant les siècles précédents, que ce soit dans les cadences concertantes, les tissages à partir de thèmes connus, ou les joutes musicales réunissant en une émulation malicieuse les musiciens. On vit Jean-Sébastien Bach traverser l’Allemagne pour rencontrer l’organiste Dietrich Buxtehude aux improvisations renommées, et s’affronter Mozart et Clementi, Beethoven et Steibelt, Liszt et Thalberg ou Haendel et Scarlatti !
Mais le meilleur était à venir ! Le deuxième concert d’Hayato Sumino recomposait, brodait, emportait dans les styles et les formes les plus divers les pièces des compositeurs aimés et offrait l’écoute de ses propres créations.
On se souviendra longtemps de la jubilation de ses Variations sur la Marche turque mozartienne, en 24 tonalités.
Tous les styles y passent, de la « version originale » à celle jazzée, celle qui s’emporte en gammes fluides proches d’un impressionnisme à la Debussy, celle de la pop ou encore celle qui pourrait accompagner une œuvre de Miyazaki.
La musique est alors un jeu mathématique, une source d’émerveillements, d’échos, de références, d’originalité, d’inépuisable verve, telle une discussion sans fin et passionnée.
On croisera avec délices Prélude et fugue de Friedrich Gulda avec ses ruptures, ses mélodies incantatoires ses syncopes, ses couleurs jazzy qui arpentent les claviers d’un piano droit préparé et du Steinway de concert, les Huit études de concert opus 40, n° 1, 2 & 3 de Kapustin et leurs phrasés méditatifs, leurs élans inventifs et spirituels. Les Two Pieces of Chopin’s Recompositions : “New Birth” et “Recollection” d’Hayato Sumino lui-même sont tout simplement éblouissantes, les cordes du piano droit ont les sonorités d’une harpe, le début sotto voce s’enfle, prend de l’ampleur qui s’envole en explosions exaltées, le souffle sonore des cordes que le pianiste laisse résonner longtemps après leur accord, ouvre des espaces sur lesquels naissent de nouvelles pulsations.
Son Human Universe (extrait de son dernier CD) transporte dans son orbe onirique.
Une musique d’une liberté infinie se déploie ici, originale, dense, lyrique et pétrie de références qui abolissent les siècles et les genres.
Et c’est ce qui rend ce musicien exceptionnel, cette faculté à arpenter les univers et les atmosphères avec une grande maîtrise technique qui devient accessoire tant le jeu dans tous les sens du terme prime.
On se sent conviés dans les mystères de la création, ludique, érudite, imprévisible, changeante, et pourtant superbement construite dans ses cheminements.
En point d’orgue, Hayato Sumino, qui a si bien su faire parler les silences, débute sur le piano droit préparé avant d’en combiner les effets avec le Steinway pour un Boléro de Ravel improbable et génialement prenant, joué dans une pénombre propice aux surgissements.
Aux ovations réitérées d’un public conquis, répondront des bis, les propres variations du musicien sur Ah vous dirais-je maman de Mozart, une petite merveille d’intelligence et d’espièglerie, puis un arrangement, toujours d’Hayato Sumino de Songbook de George Gershwin. « Ah ! on peut faire ça aussi avec un piano ? » peut-on entendre dire… Sans doute ont été suscitées des vocations à l’écoute de cette musique de la joie !
Concert donné au parc de Florans dans le cadre du Festival de La Roque d’Anthéron le 7 août 2025
Toutes les photographies de l’article sont dues à Valentine Chauvin.
Hayato Sumino/ Cateen /La Roque © Valentine Chauvin 2025