Au revers de la Sainte-Victoire, dans la douceur des premières heures du soir, le Festival de Vauvenargues fondé en 2022 par le violoniste Bilal Alnemr proposait la première soirée de son édition 2025 sur le parvis de la mairie devant une « salle » comble. « Il n’y a plus de chaises ! » sourit le maire de la commune Philippe Charrin, heureux d’œuvrer à la réussite de cette manifestation dont la qualité ne s’est jamais démentie.
Sur scène, le violon de Bilal Alnemr rencontrait avec bonheur le piano de Nadezda Pisareva. L’investissement passionné de l’un faisait écho à la fine et poétique rigueur de l’autre, mélange propice à l’abord des œuvres subtiles du programme. « Toutes sont dédicacées à des êtres aimés » expliquait Bilal Alnemr lors de sa présentation des pièces : la musique se veut ici le vecteur de l’amitié et de la reconnaissance de l’autre, symbole touchant de l’histoire de la naissance du festival.
Le premier morceau nous invitait dans l’univers de Charlotte Sohy (1887-1955), compositrice « redécouverte » il y a quelques années, par le biais de son Thème varié, opus 15, dédié à Nadia Boulanger avec laquelle elle avait étudié. Composé au lendemain de la Première Guerre mondiale, le Thème varié est un petit bijou d’harmonie. Les premières mesures sont un concentré de douceur pensive et recueillie. La palette se complexifie, expressive, se développe en élans emportés sous-tendus par une tension dramatique dense, les variations du thème ne cessent de se renouveler en une structure d’une redoutable efficacité jusqu’à la reprise finale du thème, disloqué, comme empreint de l’histoire multiple de ses développements.
Festival de Vauvenargues 2025 © Caroline Doutre
Pour suivre des pages aussi puissamment habitées, il fallait bien la Sonate pour violon et piano n° 2 en sol majeur que Maurice Ravel dédia à une amie violoniste, Hélène Jourdan-Morhange (en raison de rhumatismes, elle ne put créer l’œuvre qui trouva aux côtés de Maurice Ravel himself au piano, George Enesco qui, outre ses talents de compositeur, était un violoniste virtuose). L’existence de l’œuvre pourrait semble surprenante, Ravel écrivit un jour que le violon lui semblait « essentiellement incompatible » avec le piano !
Pourtant, les deux instruments s’accordent avec une sobre élégance, rêverie éthérée du premier mouvement, blues du deuxième, son démarrage en pizzicati et sa mélodie qui pourrait convenir à un saxophone, mais à la « sauce Ravel », et le volet final nommé « Perpetuum Mobile » qui justifie déjà, avant le Boléro, le surnom dont Stravinsky avait doté son homologue français, « l’horloger suisse » ! Le critique Roland-Manuel écrivit à son propos dans la Revue Pleyel n° 48 de septembre 1927, « souriant géomètre du mystère, Ravel va doser les impondérables de la substance sonore sur les balances les plus sensibles et les plus justes du monde ». Étourdissant, l’archet du violoniste s’enivre enfin dans des séries de doubles-croches qui dessinent gammes, arpèges, accords brisés, virevolte en d’ahurissantes acrobaties qui sarclent l’espace mélodique, creusant un sillon sans fin peuplé du vertige des réminiscences.
Festival de Vauvenargues 2025 © Caroline Doutre
Les Trois romances que l’immense pianiste et compositrice Clara Schumann dédia au violoniste Joseph Joachim, distillèrent leur intense lyrisme, offrant au violon et au piano à travers une apparente simplicité l’occasion de mettre en avant une mélancolie subtile, jonglant entre larges empâtements et délicate légèreté.
Ce temps suspendu était prolongé par la Romance pour violon et piano d’Amy Beach, dédiée à sa contemporaine la violoniste virtuose Maud Powell. L’inventivité de cette musique profonde semble prendre sa respiration dans l’étoffe du monde et le public se laisse porter par son magnétisme et le jeu fluide de ses interprètes. Amy Beach aussi souffrit du sexisme de son époque qui refusait de voir une quelconque puissance créatrice chez les femmes, et avouait un jour : « Je n’ai jamais eu vraiment le droit de signer mes compositions à mon nom donc je me devais de les signer au nom de mon mari H.HA.Beach. »
En dernière partie était convoquée la Sonate pour violon et piano en la majeur FWV8 de César Franck. Chef-d’œuvre de la musique de chambre française du XIXème siècle, cette sonate contiendrait la célèbre « petite phrase de Vinteuil » décrite par Marcel Proust dans Du côté de chez Swann : « cette fois, Swann avait distingué nettement une phrase s’élevant pendant quelques instants au-dessus des ondes sonores. Elle lui avait proposé aussitôt des voluptés particulières dont il n’avait jamais eu l’idée avant de l’entendre, dont il sentait que rien d’autre qu’elle ne pourrait les lui faire connaître, et il avait éprouvé pour elle comme un amour inconnu ».
Festival de Vauvenargues 2025 © Caroline Doutre
Bon, il y a beaucoup de musiques qui prétendent être celle choisie par le romancier dans cette description, certains affirment même que cette « petite phrase » n’appartient à aucune œuvre connue mais est une création purement littéraire. Peu importe, cette Sonate fut dédiée au violoniste Eugène Ysaÿe et fut capitale dans sa façon de traiter un thème cyclique parcourant toute l’œuvre. La souplesse du début s’emballe, se passionne, s’apaise, atteint une sorte de liberté qui dépasse une certaine inquiétude par une coda brillante, résumant en ses quatre mouvements les quatre mouvements de la vie.
Ovationné, le duo revenait pour un premier bis, la Sicilienne de Maria Theresia Paradis (1759-1824), pianiste, chanteuse et compositrice autrichienne, aveugle de naissance pour laquelle Mozart aurait écrit son dix-huitième concerto pour piano. La Sicilienne, d’une évidente simplicité, est la seule de toutes ses œuvres à nous être restée, et à l’écoute, on ne peut que regretter que les autres compositions de cette artiste aient été perdues ! On se quittait sur la virtuosité du final précédemment joué de Ravel. Savoureux délices d’été !
Concert donné le 18 juillet 2025 sur le parvis de la Mairie de Vauvenargues dans le cadre du Festival de Vauvenargues.
Connecter toutes les cultures !
Au cœur des incertitudes d’un monde contemporain déchiré, naissent des oasis qui redonnent du sens à notre humanité ; ainsi, justement nommé : « Rencontres musicales de Vauvenargues », le nouveau festival de musique, fondé par le jeune et virtuose violoniste Bilal Alnemr
Zébuline : La naissance des Rencontres musicales de Vauvenargues est liée à une histoire forte…
Bilal Alnemr : Mes parents sont arrivés en France le 16 novembre 2015, la guerre faisait rage dans leur Syrie natale. J’étais déjà au conservatoire d’Aix-en-Provence. Vauvenargues a accueilli ma famille avec une gentillesse exemplaire. J’ai vraiment eu envie de remercier à ma manière ce village. Dès le lendemain de l’approbation par le maire de l’idée du festival, dix personnes se présentaient pour former une équipe. L’efficacité de ce collectif de bénévoles a permis au festival de naître une année avant celle initialement prévue. « Chic mais simple », selon Philippe Charrin, Maire de Vauvenargues… je préfère « simple mais chic » (rires). Les échos se multiplient d’ailleurs étrangement la grande oudiste Wahed Bouhassoum qui aura une carte blanche le 2 juillet avec ses complices Merve Salgar (tanbûr) et Neset Kutas (percussion) est originaire du même village que mon père, ils sont même allés à l’école ensemble !
Vous rejoignez ici ce que disait René Char : « un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver ».
En effet, ce sont les traces qui restent. Le but n’est pas d’impressionner, mais de se laisser aller à cette énergie chimique qui fait sortir de nous quelque chose en plus : on ne veut rien prendre, mais rendre, ce qui est un paradoxe dans ce monde absurde où s’alignent les bombes et les égos. Un grand soufi disait « si je suis né de sable et de terre, tous les humains sont mes confrères. » L’échange culturel ne connaît pas de frontières. Ces rencontres sont pour moi symboliques du langage de l’Humanité. L’intérêt est de connecter les cultures entre elles.
C’est ce qui a guidé vos choix d’artistes et de programmes ?
En toute honnêteté tous les musiciens de ce festival sont des copains, des amis, les pianistes Jonathan Ware, Tanguy de Williencourt, le violoncelliste Maciej Kulakowski. Quant au programme il découle de cette alchimie entre l’amitié et le langage de l’humanité qu’est la musique. Se croiseront Dvorak et Solhi Al-Wadi (compositeur contemporain, fondateur de l’Orchestre symphonique national de Syrie), Schubert, Beethoven, Mendelssohn, Chopin, des œuvres chambristes ou concertantes (on aura un concert symphonique offert par le Pays d’Aix et la ville d’Aix-en-Provence avec le Nouvel Orchestre Symphonique du Pays d’Aix).
Le partage passe aussi par l’éducation…
Oui, il y aura aussi un atelier d’éveil musical destiné aux enfants. Cet enseignement est absolument essentiel. L’enfance c’est 80% de ma personnalité. C’est une période où rien n’est planifié, om l’on s’ouvre à tous les possibles. En m’occupant aussi de transmission, je rends hommage à chaque enfance.
Propos recueillis par MARYVONNE COLOMBANI
Juin 2022