La Calisto, un bijou baroque au Théâtre de l’Archevêché sous la houlette de Sébastien Daucé dans une mise en scène de Jetske Mijnssen
S’inscrivant dans la première lignée de l’opéra, La Calisto de Francesco Cavalli avait été écrite pour une assemblée de mélomanes ne dépassant pas cent personnes : ainsi adapté à l’écrin resserré de la représentation, l’orchestre ne comptait que six musiciens (deux clavecinistes, un théorbiste et trois cordes). Au Festival d’Aix, repensé pour la cour de l’Archevêché et ses quelques 1250 spectateurs, ce modèle d’opéra baroque vénitien réunit 33 musiciens dont dix violons, deux cornets et trois sacqueboutes (ancêtres du trombone). La réorchestration ne s’arrête pas là : la partition de l’œuvre, copiée par Francesco Cavalli, son épouse et un assistant, reprend ce qui a été joué en première représentation au Teatro Sant’Apollinare de Venise le 28 novembre 165. Un seul manuscrit subsiste, conservé à la Biblioteca Marciana de Venise ! Manquent les ballets, certaines liaisons, aussi, le travail de réécriture totalement respectueux des lignes mélodiques originelles a complété l’ensemble par l’intégration d’extraits d’autres musiques de Francesco Cavalli lui-même, mais aussi de Giacomo Arrigoni, Carlo Farina, Giovanni Legrenzi, Biagio Marini, Tarquino Merula, Salomone Rossi et Giovanni Valentini, contemporains ou du moins du même siècle du compositeur. Il faut bien dire que le succès ne fut guère au rendez-vous de la création de cet opéra : l’un des chanteurs de la création, Bonifatio Ceretti qui jouait le rôle d’Endimione, meurt le soir de la première et le librettiste, Giovanni Faustini meurt durant la série des onze représentations prévues (28 novembre au 31 décembre 1651) le 19 décembre ! La réputation de « pièce maudite » fut vite accolée à La Calisto !
Le récit de la transformation de la nymphe Callisto (en français) en ourse puis en constellation (la « grande ourse ») est remanié par l’opéra. Ici Calisto n’aura pas d’enfant de son union forcée avec Jupiter (la légende lui donne un fils, Arcas, qui, devenu chasseur et poussé par Artémis/Diane, sera sur le point de tuer à la chasse sa propre mère changée en ourse. Jupiter/ Zeus l’en empêche et transforme la mère et le fils en constellations, la petite et la grande ourse). Le final choisi par la metteuse en scène Jetske Mijnssen résonne comme une vengeance féministe qui remodèle totalement le récit ! Calisto devenue étoile poignarde à mort Jupiter qui a causé par son égoïsme et l’aveuglement de son omnipotence tant de douleurs.
La Calisto / Festival d’Aix-en-Provence 2025 © Monika Rittershaus
La metteuse en scène explique dans le livret de présentation (il faut souligner à quel point ces livrets sont précieux par les témoignages et les analyses des différents maîtres d’œuvre des spectacles joués !) combien sa lecture de La Calisto a convoqué celle du livre de Pierre Choderlos de Laclos, Les liaisons dangereuses, écrit et publié plus d’un siècle plus tard (1782). Selon elle, s’établissent comme une évidence des correspondances entre Junon et madame de Merteuil, Jupiter et Valmont, Calisto et Cécile de Volanges…
La mise en scène se refuse à une reconstitution antiquisante mais déplace l’action dans le cadre aristocratique du XVIIème siècle dans un cadre rococo. Au centre de la salle cernée de portes, un immense carrousel pivote pour donner à voir les dessous de l’intrigue. Sa rotondité symbolique sépare l’espace du ciel dévolu aux dieux de la terre où évoluent les humains et les divinités secondaires. Ouvert lors du prologue il présente une foule en deuil autour d’un long cercueil noir, celui de Calisto.
La Calisto / Festival d’Aix-en-Provence 2025 © Monika Rittershaus
La fin tragique connue, il suffit de rembobiner les fils de l’intrigue qui fourmille de déguisements, de quiproquos, de confusions. Le tragique de l’histoire se colore de passages comiques, qu’ils soient de situation ou de jeux de mots. Le plus drôle est sans doute celui des changements de voix de Jupiter qui prend l’apparence de la déesse Diane, désireux d’être aimé de Calisto pour laquelle il brûle de passion (le feu est récurrent ici, le roi des dieux est venu sur terre pour réparer les bêtises de Phaéton qui, chipant le char du soleil de son père, Apollon, a manqué brûler la planète, dépassé par la fougue des chevaux qu’il ne savait maîtriser. Écho triste aux incendies marseillais de ce début juillet, et plus largement au réchauffement climatique qui nous détruit).
Souverain, Alex Rosen campe un Jupiter à la voix de basse veloutée et une Diane lors de ses transformations à la voix de fausset dont il souligne quelques traits qui apportent une touche comique bienvenue (le choix de faire jouer le double rôle par le même chanteur est nouveau, au départ c’est l’interprète de Diane qui se chargeait d’être et la vraie déesse et son « imitation »). Ces dieux de l’Olympe venus sur terre pour réparer leurs erreurs sont bien peu divins et endossent des personnalités humaines bien peu reluisantes, abusant de leur pouvoir, manipulant, grugeant, se dissimulant toujours derrière un jeu complexe d’apparences, de non-dits, de feintes. Les colères de Junon ne s’attachent pas à son mari fautif mais aux victimes de ce dernier,
La Calisto / Festival d’Aix-en-Provence 2025 © Monika Rittershaus
Diane (délicate Giuseppina Bridelli), sans doute exaspérée par les frasques de son père Jupiter se replie vers une chasteté qui ne lui convient pas et souffre de ne pouvoir vivre son amour pour Endymion au plein jour…
Paul-Antoine Bénos-Djian jongle entre ses tonalités d’alto et de contre-ténor dans le rôle d’Endymion avec une juste finesse. Anna Bonitatibus sait ne pas être une Junon caricaturale et sait trouver des nuances subtiles avec des pianos belcantistes somptueux. Toutes les voix sont riches et expressives et apportent une profondeur émotionnelle rare à cet opéra qui en raconte tant sur les mécanismes des passions humaines. Lauranne Oliva enfin, dans le rôle-titre incarne avec brio les désirs d’amour et de liberté de la nymphe, belle, émouvante, lumineuse.
La Calisto est jouée au théâtre de l’Archevêché dans le cadre du Festival d’Aix du 7 au 21 juillet.
La Calisto / Festival d’Aix-en-Provence 2025 © Monika Rittershaus