Nous sommes déjà dans la période des présentations de saison, des premiers abonnements, de l’effervescence de l’anticipation des merveilles à découvrir l’an prochain. Et chaque lieu se plie au délicat exercice du dévoilement des propositions futures.

L’amoureux du spectacle vivant qu’est Dominique Bluzet, directeur des Théâtres et du théâtre d’Arles mais aussi, acteur, metteur en scène, producteur, transforme ce passage rituel en un véritable seul-en-scène théâtral de haute voltige.

Cabotin espiègle, porteur de projets d’envergure, fin connaisseur des êtres et du monde du spectacle vivant, il tient son public en haleine, s’adresse aux acteurs présents, rappelle leurs souvenirs communs, les taquine tout en leur témoignant son admiration.
 Sa présentation, quasiment sans notes (juste quelques pages sur un pupitre disposé non loin de lui), ne se contente pas d’une énumération des spectacles à venir, mais passe par une véritable réflexion sur ce qui rend le théâtre indispensable, sur la place de l’art dans nos sociétés.

Dominique Bluzet © Caroline Doutre

Dominique Bluzet © Caroline Doutre

Il fait un détour historique, passe par une analyse des architectures de pouvoir et souligne les spécificités d’Aix-en-Provence et de Marseille : si les places principales de la plupart des villes mettent en scène les pouvoirs, alignant les bâtiments représentant les pouvoirs politique, judiciaire, religieux et artistique, la construction des deux grandes villes des Bouches-du Rhône n’a pas suivi ce schéma pour de multiples raisons.
Intégrer les lieux de spectacle dans les villes, donner du sens aux quartiers dans lesquels ils se trouvent, devient un enjeu : « un théâtre est aussi un projet politique », souligne Dominique Bluzet.

La construction politique du spectacle, les enjeux de la diffusion, du partage et de la création artistique poussent le directeur de théâtre et artiste à réfléchir son travail : pas de programmation « hors-sol » donc, mais une saison en lien étroit avec un territoire, une volonté de rendre l’art accessible à tous par des dispositifs divers, que ce soit grâce à l’ASSAMI et la retransmission en direct des spectacles dans les lieux où résident ceux qui ne peuvent se déplacer, le remarquable effort de médiation destiné à accueillir vraiment tous les publics dans les théâtres,

La saga de Molière, CIe Les Estivants © Les Théâtres

La Saga de Molière/ Cie Les Estivants © Les Théâtres

(accompagnement proposé aux personnes fragiles ou présentant un handicap, séances en audiodescription ou en langue des signes, dispositifs adressés aux mal-voyants avec des maquettes tactiles rendant plus évidents les lieux, encadrement musical grâce à l’ensemble Café Zimmermann pour les enfants sourds, les concerts Heko, les « artiste à la Maison », l’action senior…).

D’autre part, une large place est donnée aux présentations de spectacles, que ce soit avec « parlons musique avec l’ensemble Café Zimmermann, les avant-scènes musique une heure avant le concert avec Jean Nico, les bords de plateau, les représentations scolaires, l’élaboration d’un « quartier des arts » à Marseille autour du théâtre du Gymnase.
Le travail effectué en direction des publics (« sans le public, nous ne sommes rien » se plaît à rappeler Dominique Bluzet) ne fait pas oublier les artistes ! Une aide intelligente est apportée aux compagnies, grâce au label issu du plan ministériel « mieux produire, mieux diffuser » (trois spectacles en seront bénéficiaires cette année).

Café Zimmermann © Les Théâtres

Café Zimmermann © Les Théâtres

Les compagnies locales sont soutenues, parmi elles, à noter, la Cie des Estivants dont les deux spectacles, La Saga de Molière (lire ici) et C’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule (lire ici) sont en train de faire le tour de France, de même que Mozart et nous, fantaisie radiophonique, créé par Célimène Daudet et Anna Sigalevitch lors du Festival de Pâques 2024. Une aide forte à la création par le biais de coproduction a été mise en place, neuf seront présentées cette année, dont le superbe Le Lac des Cygnes d’Angelin Preljocaj, un compagnon de route au long cours, Le roi et l’oiseau par la Cie (1)Promptu (Émilie Lalande), Thélonius & Lola de Kribus mis en scène par Agnès Régolo, Cinq versions de Don Juan, dernière création de la Compagnie Grenade de Josette Baïz, mais aussi, en création mondiale dans le cadre du Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence, The story of Billy Budd, Sailor d’Olivier Leith et Ted Huffman. Soutenant la création, le Grand Théâtre de Provence accueillera la jeune et talentueuse compositrice Camille Pépin à la suite d’une commande croisée avec l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège.

La connivence avec les autres théâtres ira jusqu’à l’accueil du Théâtre National de Strasbourg, le TNS. 

Bien sûr, les pièces destinées au théâtre du Gymnase, toujours en travaux, essaimeront dans les salles amies.
Les grands noms, Fanny Ardant, Ariane Ascaride, Anne Brochet entre autres constellations émailleront la saison sans occulter les artistes peu ou pas encore connus ou reconnus. Théâtre, musique, cirque, danse, seront au rendez-vous avec leur puissance d’émotion, de réflexion, de créativité. 
Impossible de citer la belle centaine de spectacles programmés ! Leur éclectisme n’a qu’un point commun, une indéniable qualité qui se situe toujours dans une interrogation du monde et nous donne à l’aborder avec plus de pertinence.

Camille Pépin © capucine de Chocqueuse

Camille Pépin © Capucine de Chocqueuse

La pertinence sait aussi être impertinente et provocatrice, parfois avec un irrésistible esprit potache! En pied de nez par-delà les années au directeur de l’École de dessin et conservateur du musée d’Aix dans les années 1900, Henri Pontier, qui se serait exclamé, « moi vivant, aucun Cézanne n’entrera au musée ! », Dominique Bluzet propose « seize ânes » ! D’abord parce que Cézanne en avait un et que ces animaux doux seront employés pour des balades familiales autour des sites qui ont inspiré le peintre et seront l’occasion pour le compositeur Marc-Olivier Dupin de lui rendre hommage grâce à un conte musical (autre commande des Théâtres) dans lequel il est question d’un marchand voleur, de seize ânes et d’une transformation inattendue… « En cette année hommage à Cézanne, il entrera au musée Granet par un jeu de mots » s’amuse Dominique Bluzet.

Bien sûr, le rendez-vous désormais rituel du Festival de Pâques concocté avec le grand violoniste Renaud Capuçon réserve son lot d’enchantements. Les artistes en résidence, comme Jérémie Rhorer et son Cercle de l’Harmonie ou Café Zimmermann s’investiront encore dans de nombreuses actions pédagogiques sur le territoire.
Et si vous n’allez pas au théâtre le théâtre viendra à vous grâce à l’opération « Aller vers » que les artistes et les théâtres reprennent avec enthousiasme : des formes courtes, facilement transposables seront données dans des cafés, des petites places, des bas d’immeubles…

Cinq Don Juan / Cie Grenade © Cécile Martini

Cinq Don Juan / Cie Grenade © Cécile Martini

Provocateur, Dominique Bluzet lance « honneur à nos élus ». Se référant aux totems portant l’inscription « honneur à nos élus », vus dans certains villages d’Auvergne devant la maison des édiles locaux pour les remercier de leur travail, il remercie les élus des différentes strates de l’organisation politique de leur soutien et de leur aide constante et attentive. « On ne leur adresse la parole que pour se plaindre ! Sans les aides accordées aux théâtres, on devrait fermer boutique ! ».
Enfin, pour la première fois la saison est dédiée à une personnalité : Pierre Audi, directeur du Festival international d’Art lyrique d’Aix, disparu bien trop tôt le 3 mai 2025, véritable tsunami qui a bouleversé le monde de la musique.

Toute la programmation de la saison 2025-2026 est déjà consultable sur le site des Théâtres : lestheatres.net