La compagnie Chabraque doit son nom à une expression venue de l’enfance poitevine de la dramaturge et metteuse en scène Cécile Brochoire, sa fondatrice : « être chabraque, explique-t-elle, c’est partir dans tous les sens ». Une apparence seulement ! mais qui résume bien la manière dont elle envisage la composition d’une pièce de théâtre : « un vaste métier à tisser qui permet à l’art et à l’artisanat, aux gestes techniques et aux gestes sensibles, d’œuvrer ensemble pour la création d’une pièce unique ».  

La définition s’applique à son dernier spectacle, In Petto/ Au secret des cœurs. Le projet trouve sa source durant le confinement. La mise à l’écart de tous a rendu la situation encore plus difficile pour « les personnes âgées, coupées de leurs proches ». S’emparant de ce constat, l’artiste va travailler dans des Ehpad, des écoles maternelles, des MJC, au CHBD (Centre Hospitalier Buëch Durance à Laragne-Montéglin), un foyer d’accueil médicalisé, des médiathèques du département des Hautes-Alpes. Il s’agissait alors de rencontrer les personnes dépendant de ces divers dispositifs et « de les impliquer en fabriquant un projet théâtral autour du secret, son origine et ses sinuosités ainsi que les conséquences qu’ils engendrent, tant au niveau de la parole que de sa transmission à travers les générations ».

Compagnie Chabraque : In Petto: Théâtre de Pertuis © M.C.

Compagnie Chabraque : In Petto: Théâtre de Pertuis © M.C.

Le résultat : un seul en scène d’une infinie tendresse, bouleversant de simplicité, grâce à l’actrice Anne Naudon. Sa manière d’entrer en scène, de présenter les mouvements du récit, de mettre en scène les personnages qu’elle évoque. Elle est si convaincante dans l’interprétation de son propre personnage, « Pauline, aide-soignante de profession » qui a « décidé de faire une pause », que des spectateurs lui demandent à la fin du spectacle comment elle est passée de son métier médical à celui d’actrice.

D’emblée, son sourire qui semble se poser sur chacun avec la même empathie crée des liens. « La mort de Nadia » a tout provoqué, raconte la narratrice qui, au fil de la pièce dépliera des cubes renfermant chacun des photos, des objets emplis de souvenirs liés à telle ou telle personne évoquée. Quatre récits se « déplient », Barocco, du nom de ces perles irrégulières qui ont désigné toute une période artistique, La vie c’est guinguette, De peau, Le Chineur de l’estran. Chaque histoire est accompagnée de capsules sonores où les voix sortent de l’oubli, apportent leur chair au propos, nostalgiques parfois, espiègles souvent, attachantes toujours.

Compagnie Chabraque : In Petto: Théâtre de Pertuis © M.C.

Compagnie Chabraque : In Petto: Théâtre de Pertuis © M.C.

Il est de ces histoires qui ont été tues, secrets de famille enfouis, souvenirs d’enfance qui ressurgissent lorsque l’on ne s’y attend plus et qui ont marqué profondément les âmes sans que l’on s’en soit rendu compte. Il y a la bibliothèque improbable du « chineur de l’estran » qui, taiseux, ne communique plus que par citations poétiques et romanesques, un objet transmis, de vieilles photos, un vêtement oublié, et le souvenir s’ouvre comme dans la description proustienne du jeu japonais où « de petits morceaux de papier jusque-là indistincts qui , à peine (sont-ils trempés dans un bol de porcelaine rempli d’eau) s’étirent, se contournent, se colorent, se différencient, deviennent des fleurs, des maisons, des personnages consistants et reconnaissables ».

Les madeleines offrent leurs fragrances, ont la capacité de se multiplier à l’infini. 
Certaines cases des cubes ne seront pas ouvertes, même après le lancement d’un dé par des spectateurs qui laisse au hasard la décision d’évoquer tel ou tel moment ou personnage supplémentaire. Le spectacle n’est jamais exactement le même, piochant dans le foisonnement des récits recueillis (plus de cinquante heures d’interviews, quarante-quatre voix off et quelque trente photographies offrent une infinité de combinaisons possibles), ajoutant sa propre fantaisie, sa manière tendre d’aborder les vies, les détails infimes qui les composent, les anecdotes, les abandons, les rencontres… 


Compagnie Chabraque : In Petto: Théâtre de Pertuis © M.C.

Compagnie Chabraque : In Petto: Théâtre de Pertuis © M.C.

En se construisant, le spectacle semble redonner aux êtres les strates de ce qui les compose, leur accorde une épaisseur nouvelle ou oubliée. C’est profondément humain et les spectateurs sont pris comme des « spect’acteurs » qui, lors du rituel « bord de plateau », livrent parfois aussi des fragments de vie. 
Une autre manière de poétiser l’existence ?

Spectacle vu au théâtre de Pertuis le 7 mai 2025.

Compagnie Chabraque : In Petto: Théâtre de Pertuis © M.C.

Compagnie Chabraque : In Petto: Théâtre de Pertuis © M.C.