Ce que laissent les étoiles

Ce que laissent les étoiles

Le nouveau spectacle de la Compagnie Après La Pluie, …Trace…, repose sur des textes composés par des enfants hospitalisés au service d’hémato-oncologie de la Timone à Marseille

Recueillir des paroles d’enfants

Le titre s’inscrit d’emblée dans une parenthèse : les points de suspension qui encadrent le terme « trace » semblent vouloir extraire du fil du temps le témoignage de ce qui n’en a été qu’une manifestation éphémère. Le travail du metteur en scène Olivier Pauls consiste ici à mettre en lumière le travail fantastique effectué par les comédiennes de la Compagnie Après la pluie dans les hôpitaux auprès des enfants malades. Peu importe la difficulté à établir le contact, le contexte hospitalier contraignant, les évolutions souvent trop tragiquement prévisibles des pathologies, les artistes sont avec les enfants qui posent des mots sur eux, leurs proches, leurs espoirs, leurs joies, leurs énervements, leurs désespoirs parfois, leur envie d’une vie normale où les devoirs scolaires et les chamailleries avec des enfants de leur âge seraient des instants de bonheur.

Cela fait dix ans que les ateliers d’écriture ont été mis en place avec les enfants. Ces derniers sont évoqués avec tendresse, émotion, douceur, tristesse, amusement. Les textes mis en musique par Stéphane Cochini et accompagnés les musiciens Frédéric Albertini (basse, guitare, cajon) et Cyril Peron-Delghan (guitare et percussions) sont interprétés par trois comédiennes de la troupe, en alternance.

Une comédie musicale en équilibre sur le fil de la vie

Cet après-midi-là, à l’Idééthèque des Pennes-Mirabeau, Agnès Audiffren et sa belle voix grave, Cathy Darietto et Céline Giusiano apportaient leur verve et leur sensibilité à l’interprétation joyeuse et expressive des chants, des histoires, mêlant aux vies bouleversées des enfants leurs réflexions, leurs trajets personnels, leur appréhension de la mort, de la vie, de ce qui reste de nous. Le désir de croire à quelque chose, même si la raison le réfute, accorde à la pérennité des mots le pouvoir de vaincre l’absence définitive au monde.

...Trace... avec Agnès Audiffren dans une mise en scène d'Olivier Pauls © DR

…Trace…  © DR

Dire les textes de ceux qui ne sont plus est une manière de les faire perdurer, de donner un sens à ce qui n’en a pas, de dessiner de l’humanité face à la cruauté du temps qui arrache trop tôt les êtres à ce monde.

Les trois comédiennes qui endosseront les rôles des trois émotions-clé du spectacle, Colère, Tristesse et Amour, entrent en scène affublées des vêtements de protection des personnels soignants, miment conversations, maladresses, disputes, puis, abandonnant le factice redeviennent elles-mêmes, expliquent leur travail, leurs rencontres, tissent entre les passages chantés dont les textes sont dus aux enfants malades un récit vrai au cours duquel les vies des artistes croisent celles des petits hospitalisés. Il n’est plus question de se projeter vers un avenir incertain et trop souvent bref, mais de vivre l’instant présent. Se développe alors une autre manière d’envisager l’existence, proche de celle qu’évoquait André Gide dans les Nourritures terrestres, s’adressant à Nathanaël : « saisis de chaque instant la nouveauté irremplaçable et ne prépare pas tes joies, ou sache qu’en son lieu préparé te surprendra une joie autre », prolongement du célébrissime carpe diem d’Horace, « cueille le jour » …

...Trace... avec Agnès Audiffren dans une mise en scène d'Olivier Pauls © DR

…Trace…  © DR

Chaque instant tend ainsi vers la perfection : les chorégraphies impeccables, les gestes, les intonations, justes, habités d’âme, offrent au propos un écrin enjoué, subtil, drôle et poignant. Les expressions mobiles des visages et des corps passent par toutes les nuances des émotions, rendent compte de l’indicible, de même que les musiques, et permettent aux enfants de continuer à vivre à travers leurs paroles.

Souvent les jeunes auteurs affirment leur volonté de transmettre, de laisser une trace. Voici Irma qui du haut de ses trois ans « fait des trucs-trucs rigolos », la « tchatcheuse » Kayna, huit ans, qui s’évade par les histoires, Orion qui, à huit ans, porte un regard d’une acuité époustouflante sur ce qui l’entoure et ce qui « l’énerve » (l’un des instrumentistes évoque sa rencontre avec lui et ses paroles qui l’ont impressionné : « les docteurs m’auscultent comme un bout de viande et ça m’énerve ! »). Les portraits défilent, attachants, saisis dans leur fragilité, leur courage. Face à l’éphémère, tout devient important, et s’impose alors la nécessité « de faire ce qui peut être fait » …

...Trace... avec Agnès Audiffren dans une mise en scène d'Olivier Pauls © DR

…Trace…  © DR

Parfois la rémission, la guérison arrivent, « on gagne » contre la maladie et de toute façon, on gagne avec le sourire d’Héloïse qui explique que « même si on est dans les étoiles, on garde la vue sur les gens qu’on aime ». On rit à l’histoire de Princesse Tristesse, inénarrable de force comique, de la petite Victoria (quatre ans), on écoute la chanson de Zineb (six ans) sur la joie… Et si l’amour c’est la clé, il faut cultiver le beau : « l’important c’est de célébrer la vie jusqu’au bout ». « On respire ensemble, sourient les comédiennes, les chants sont une respiration que l’on partage avec les enfants ».

Tour de force que ce spectacle qui nous fait rire, nous émeut, conduit à réfléchir et ce, sans jamais tomber dans la mièvrerie ni l’apitoiement délétère. Magnifique et bouleversant !

…Trace… a été joué le 18 novembre à l’Idééthèque des Pennes-Mirabeau

Inlassablement faire la lumière

Inlassablement faire la lumière

Au Camp des Milles,  a été jouée par la  compagnie des Beaux Parleurs « À rendre à Monsieur Morgenstern en cas de demande », inspirée d’une histoire vraie

Au départ, il y a une boîte noire en carton bouilli retrouvée dans un grenier, un dossier gris assorti d’une note écrite au crayon à papier « Documents de M. Morgenstern confiés à Lyon en 1941 ou 1942. À rendre à M. Morgenstern en cas de demande ». L’écriture est celle du grand-père de Frédéric Moulin. Nous sommes en 2018 au mois de janvier, l’acteur se plonge dans la centaine de documents contenus dans le dossier, lettres, notes, courriers privés et administratifs, assignations à résidence, passeports, photos, permis de séjour, certificats médicaux, lettres préfectorales, demandes de renouvellements de visas provisoires…). Naît une véritable enquête au cours de laquelle le comédien ira consulter les recueils du CHRD au mémorial de la Shoah, s’entoure d’historiens (principalement issus du réseau Mémorha).

Plus de quatre-cents documents seront ainsi regroupés dans le but de découvrir ce qui est vraiment arrivé à la famille juive venue d’Autriche et passée par Lyon durant la Seconde Guerre mondiale et liée mystérieusement au grand-père, imprimeur de son métier, de Frédéric Moulin. L’histoire « trop romanesque, trop parfaite pour sembler vraie » explique l’acteur devenu ici dramaturge devra être mise à distance dans la pièce qui prend son nom de l’intitulé du dossier. Aussi, c’est Sabine Moindrot qui endosse le rôle de découvreuse. Telle Alice au Pays des Merveilles, « tombée dans un terrier, (elle) dans une boîte », elle se lance dans cette histoire qui lui permet aussi de rechercher dans les non-dits de sa propre famille, abordant le mutisme de ceux qui ont vécu les guerres. Méthodique, elle entre dans cet univers avec une sensibilité et une justesse de jeu rares au cœur d’une mise en scène en épure qui se nourrit des ombres et des lumières, des paroles prononcées derrière un long rideau qui permet aussi la projection de photographies et de documents. La famille de Leopold Morgenstern-Singer devient familière, le soulagement lorsqu’elle apprend leur fuite rocambolesque en Suisse ou la naissance de leur deuxième enfant en 1945, est tangible.

Camp des Milles, "À rendre à Monsieur Morgenstern en cas de demande" par la CIE des Beaux Parleurs

Quelles relations se sont établies entre l’imprimeur lyonnais et Leopold Morgenstern ? Aucun document n’en parle, les hypothèses fusent : il n’y a pas de hasard si les documents ont été confiés au grand-père ; souvent les imprimeurs faisaient de faux-papiers… Jouée au Camp des Milles, le lendemain du 12 novembre, la pièce a des résonnances particulières. Il n’est pas question de « devoir de mémoire mais de travail de mémoire » précise Frédéric Moulin alors que, convié sur le plateau avec le père de l’acteur, Robert Singer, (l’enfant né en Suisse en 1945), lit un texte dans lequel il remercie ceux qui ont contribué à sauver sa famille et rappelle combien l’humanité a besoin de la solidarité des êtres et de leur attention pour ne pas plonger dans la barbarie. Le mouvement dialectique entre histoire et mémoire tient ici de l’intime et renvoie chacun à sa responsabilité individuelle. Les idées ne sont pas simplement des mots, mais s’incarnent…

Lundi 13 novembre Camp des Milles

Nouvelles Mythologies

Nouvelles Mythologies

L’arbre à sang du dramaturge australien Angus Cerini impose sa puissance tragique sur la scène du théâtre de l’Archevêché

Elles sont trois, face au public, simplement assises sur leurs chaises, avec leur langage rugueux, aux aspérités sauvages, trois femmes, une mère et ses deux filles, trois Parques dressées au-dessus du cadavre d’un homme, père, mari, atroce de violences et de colères. « Avec une balle dans le cou, ta tête de crétin a l’air bien mieux qu’avant » déclare en préambule la mère, Dominique Hollier, traductrice du texte.

S’orchestre la célébration de la vengeance, enivrante, revanche sur les horreurs vécues. La trivialité des mots renvoie par sa crudité à la cruauté subie, expression enfin libérée d’une haine ressassée. Si l’une des sœurs (interprétées respectivement par Lena Garrel et Aude Rouanet) s’affole lorsqu’elle prend conscience du caractère irrémédiable de leur acte, elle est vite ramenée à un sentiment de fierté espiègle par les deux autres personnages. À la fête des mots qui se fichent dans la chair du cadavre comme autant de poignards supplémentaires, succède le souci du corps. Qu’en faire ? Les voisins arrivent, voient, malgré les tentatives infructueuses du trio de dissimuler la « bête », mais se taisent, et conseillent les méthodes propres à se débarrasser de l’encombrant macchabée « en trois jours »… pendu à l’arbre à sang qui sert d’ordinaire aux cochons, mangé de l’intérieur par les rats, piqueté par les oiseaux, puis dépecé par les poules, enfin débité par la chienne du facteur-gendarme qui se souvient de ses chiots tués à coup de botte par l’ivrogne. 

L'arbre à sang © Bois de l'Aune

L’arbre à sang © Bois de l’aune

S’orchestre la célébration de la vengeance, enivrante, revanche sur les horreurs vécues. La trivialité des mots renvoie par sa crudité à la cruauté subie, expression enfin libérée d’une haine ressassée. Si l’une des sœurs (interprétées respectivement par Lena Garrel et Aude Rouanet) s’affole lorsqu’elle prend conscience du caractère irrémédiable de leur acte, elle est vite ramenée à un sentiment de fierté espiègle par les deux autres personnages. À la fête des mots qui se fichent dans la chair du cadavre comme autant de poignards supplémentaires, succède le souci du corps. Qu’en faire ? Les voisins arrivent, voient, malgré les tentatives infructueuses du trio de dissimuler la « bête », mais se taisent, et conseillent les méthodes propres à se débarrasser de l’encombrant macchabée « en trois jours »… pendu à l’arbre à sang qui sert d’ordinaire aux cochons, mangé de l’intérieur par les rats, piqueté par les oiseaux, puis dépecé par les poules, enfin débité par la chienne du facteur-gendarme qui se souvient de ses chiots tués à coup de botte par l’ivrogne. La conspiration collective de tous ceux qui savaient mais n’ont jamais rien dit soutient les femmes dans leur secret, collectent une cagnotte solidaire destinée à les aider… La rusticité des personnages se frotte à ce conte cruel et lui accorde la dimension mythique d’une nouvelle fondation, sacrifice rituel qui transmute le mal en ferment nourricier pour la faune et la flore (les os cuits seront un excellent engrais pour les roses !). Du patriarcat délétère on passe à un matriarcat fertile… et une invitation à partager une soupe de poireaux pommes de terre à la fin du spectacle. Une nouvelle claque théâtrale à cet Automne à l’archevêché !

Le 7 octobre, théâtre de l’Archevêché dans le cadre d’Un automne à l’Archevêché, Aix-en-Provence 

Lorsque l’infini s’installe au degré zéro de l’écriture

Lorsque l’infini s’installe au degré zéro de l’écriture

Comment avec « rien » faire du théâtre ? Le dramaturge et metteur en scène Tim Etchells nous donne par le biais de « L’Addition » à repenser cet art et lui accorde des profondeurs inattendues

Invité par Un Automne à l’Archevêché, le Bois de l’Aune cultivait en ouverture de l’évènement son goût sûr du théâtre contemporain et du paradoxe : la scène imposante habituée aux grandes représentations lyriques de l’été se voyait investie par le public installé face au mur de scène mythique de tant d’opéras devant un « plateau » délimité par ses spots lumineux et clos en fond de scène par le long rideau de velours rouge classique des lieux dédiés au théâtre. Mais il est situé d’ordinaire devant, et se lève pour dévoiler un spectacle… 

Les contrastes ainsi mis en espace ouvraient un champ propice aux pirouettes et surprises. L’entrée des deux performeurs, Bertrand Lesca et Nasi Voutsas (Bert & Nasi), pantalons noirs et chemises blanches mettait d’emblée le propos en doute en un prologue au cours duquel les acteurs se renvoient la balle en un duo solidement mis au point, depuis les hésitations, les paroles qui se coupent, les mots qui surenchérissent, les phrases qui se complètent, se précisent, se mettent en doute, se reprennent, se contredisent, s’approuvent enfin… Le sujet est ridiculement anodin : un client assis devant une table recouverte d’une nappe blanche (signe ou non de l’excellence de l’établissement ?) demande un verre de vin à un serveur, lequel lui fait d’abord goûter le breuvage, puis le sert, mais s’oublie et continue de verser alors que le contenant est plein, débordement qui amène affolement général et échange des rôles avant que la même scène ne recommence et ce ad libitum… à l’instar des Exercices de style de Queneau qui raconte 99 fois la même histoire de 99 façons différentes, la scène se répète avec d’infimes variations, des ruptures de ton, des accélérations, des cafouillages, jusqu’à un tournoiement délirant où l’on est projeté (pas tous évidemment) cinquante années plus tard dans la même spirale infernale.

TIM ETCHELLS<br />
L’ADDITION © Christophe Raynaud De Lage

Tim Etchells, L’ADDITION © Christophe Raynaud De Lage

TIM ETCHELLS L’ADDITION © Christophe Raynaud De Lage

Tim Etchells, L’addition © Christophe Raynaud De Lage

Le génial de cette pièce réside dans sa capacité à faire du théâtre sans l’ossature d’une trame narrative, à jongler avec l’absurde, les réitérations, les variations, les échos, et trouver sa colonne vertébrale dans ce ressassement qui tourne à vide et pourtant par ses écarts, sa puissance ludique qui s’emballe et conduit à une appréhension quasi tragique du monde, est empli d’une tension dramatique rare. Une grande leçon de théâtre !

Les 3 & 4 octobre au Théâtre de l’Archevêché, Aix-en-Provence 

 

Rire de paille

Rire de paille

La Compagnie Zou Maï Prod crée le second volet du diptyque Le rire dans tous ses états, dont le premier acte est né en 2022, Tchatchades et Galéjades, petite forme théâtrale itinérante qui établissait une relation privilégiée entre acteurs et public, comme sait si bien le faire l’acteur Christian Mazzuchini, fondateur et directeur artistique de la compagnie.

Initialement, le comédien rêvait d’un travail sur Pierre Desproges. Cependant revenait régulièrement sous la plume de l’écrivain le nom de Jean-Louis Fournier. Ignorant tout de ce dernier, Christian Mazzuchini se met à le lire. « Comment ai-je pu passer depuis tant d’années à côté de cet incroyable personnage ! (…) je viens de tomber sur une mine de rire » raconte-t-il.

C’en est fait, la prochaine création doit être consacrée à cet auteur prolifique (plus de 40 livres). La puissance d’autodérision de Fournier atteint des sommets, tant la vie lui a été amère, cumulant un lot invraisemblable de malheurs et de tragédies.

Le rire devient alors un instrument de survie. La légèreté contrebalance le poids des fêlures, le rire dans ses pirouettes fait un pied de nez vainqueur au sort qui parfois s’acharne.

De la paille dans la tête ©Thierry Aguila

De la paille dans la tête ©Thierry Aguila

 Le texte de la pièce, De la paille dans la tête, Histoires pour distraire ma Psy, est le résultat d’une compilation de quinze ouvrages de Fournier, solidement construite par Dimitri et Christian Mazzuchini. 

Voici un cadre sonore champêtre, un téléphone (de ces antiques avec le cadran qui tourne) laisse pendre lamentablement ses écouteurs et pourtant une sonnerie se fait entendre.

Y répond une voix enregistrée (Marilyne Le Minoux) « Allô Bonjour, nous sommes ravis de vous accueillir à SOS Désespoir »….

De la paille dans la tête ©Thierry Aguila

Le patient (Christian Mazzuchini) entre en scène : verve de mime, étonnement du monde, jeu avec les chants d’oiseaux et d’insectes… « Je suis en analyse depuis trente ans, depuis trente ans j’apprends à vivre »…

Afin de désennuyer sa psy de la monotone rengaine des êtres désespérés qui vont la voir, notre personnage invente des histoires, les peuple d’anecdotes, s’exerce à la blagounette plus ou moins heureuse, s’enlise, rebondit, virevolte comme un papillon entre les sièges « moches » de la salle d’attente et les mots, se réinvente, véritable objet littéraire qui embarque à sa suite tout un univers dans sa chaotique et fascinante divagation. 

De la paille dans la tête ©Thierry Aguila

Les messages téléphoniques viennent s’insérer, cruels et si vrais, tels de lancinants refrains. Le texte est une partition musicale sur laquelle viennent se poser pensées et émotions « à sauts et à gambades », un Montaigne du rire sur des musiques de Dimitri et Sacha Mazzuchini et la complicité de la petite chienne Gina, une habituée des planches ! Un régal, « et voilà ».

Avant-premières les 26 et 31 juillet au Village des Fadas du monde, Martigues

Le « et voilà » final est à découvrir, il scande en ritournelle la pièce.

Papillotes et didascalies

Papillotes et didascalies

Chaque année, un auteur est associé au travail de la Compagnie d’entraînement du théâtre des Ateliers. Les élèves comédiens se livrent à une auscultation de l’œuvre, rencontrent l’auteur, travaillent avec lui au cours d’un séminaire de trois jours en vue de la création en juin de l’une de ses œuvres et ce pour sept représentations, ce qui leur permet d’approfondir leur jeu, d’expérimenter, d’explorer. 

Cette année l’auteur de référence était la dramaturge Mariette Navarro dont le premier roman Ultramarins publié en 2021 a reçu le prix Frontières au printemps et le prix Léopold Sedar Senghor en septembre 2022. 

Les comédiennes avaient choisi dans le corpus proposé, Les Célébrations ou le brouhaha des retrouvailles, texte dont la forme première n’est pas celle, « classique », d’une pièce de théâtre. Le texte s’orchestre en courts paragraphes, chacun destiné à décrire à la troisième personne ce que le personnage fait ou ressent. Sont en scène « Le Premier », « La Seconde », « Le Troisième », « L’une », « L’autre », « Celle-Ci », « Celle-Là ». La distanciation, établie d’emblée, permet une approche espiègle souvent ironique de ces personnages rassemblés à l’instigation du Premier, pour une fête de retrouvailles. Ce dernier « remet en marche comme une mécanique ancienne l’association ancienne » …

 On cherche un appareil photo, on se laisse aller à des gestes potaches, on fouille dans ses souvenirs, on est paralysé par une paire de chaussures trop étroites, un gargouillement intempestif, on guette un clin d’œil on tente de l’interpréter, on rit un peu trop fort, on raconte des anecdotes, on cherche à se reconnaître… Ce qui les unit, c’est leur année de naissance, est-ce une réunion de promo autour d’un buffet campagnard, on ne le saura jamais vraiment (le terme « scolarité » seul nous indique l’origine probable de cette scène de retrouvailles), l’important n’est pas là, il réside plutôt dans l’approche fine des mécanismes de la sociabilité. Les pantins s’animent, courent, sont en retard ou en avance, boitent, se raclent la gorge, s’approchent de groupes qui s’ouvrent ou se referment. L’un arbore un nez rouge de clown, l’autre grimpe désespérément à une échelle… Il faut faire attention à ses lèvres, à sa voiture, à sa tenue. Les vêtements portés sont les costumes de scène que réclament les conventions de la société dans ce théâtre qu’est le monde.

Compagnie d'entraînement, théâtre des Ateliers juin 2023

Les Célébrations par la Compagnie d’entraînement © Cécile Rattet

Pas une réplique ne sera prononcée, si ce n’est inaudible chaque fois que sera mis en scène le « brouhaha » : les mots de la communication importent peu. Les corps sont en scène. C’est par eux que seront rendus sensibles les mouvements de l’âme, les incertitudes, les interrogations, les malaises, les peurs et les disputes anciennes. Magistrales, Pauline Augier, Lucie Bondoux, Sarah Brunel, Siham Gharnit, Margaux Maignan, Léa Mainier, Noémie Sarcey, interprètent avec justesse et passion cette œuvre délicate dans la mise en scène réglée au cordeau d’Alain Simon. Tout est chorégraphie, modulé, vocalisé en un rythme sans faille. Est-ce que ces jeunes artistes conviendront d’un «brouhaha de retrouvailles » dans quelques années ?  Bravo !

Les sept représentations ont été données au Théâtre des Ateliers, Aix-en-Provence du 8 au 16 juin