Improviser, ça ne s’improvise pas!

Improviser, ça ne s’improvise pas!

Deux concerts particuliers étaient programmés par les théâtres en ce mois de mars, bien connu pour être celui des fous d’après un vieux dicton provençal : pas de feuille de salle avec un programme, juste une note d’intention pour la représentation donnée au conservatoire Darius Milhaud le vendredi matin, rien pour celle du samedi soir au Grand Théâtre de Provence.

Aux commandes de ces évènements, deux personnalités très médiatiques et médiatisées, et malgré tout (on a parfois tendance à opposer le talent et le « trop connu ») excellents musiciens, Jean-François Zygel et André Manoukian.

Galerie de peinture

Avec pour seul titre Aix en musique, et muni d’un petit pense-bête, l’inclassable pianiste Jean-François Zygel captivait d’emblée son auditoire, partageant avec lui anecdotes, souvenirs personnels, réflexions sur la vie et la musique, surtout la musique, l’essence même de la vie. Après un petit prologue où l’artiste faisait connaissance avec l’instrument, plaquant un large accord pour en ressentir les résonances, puis arpentait les octaves afin de goûter la luminosité de chaque note, il se retournait vers les spectateurs et posait les principes de la performance du jour : une esthétique de la surprise portée à son acmé : « vous n’avez aucune idée de ce que vous allez entendre puisqu’aucun morceau n’est annoncé, et moi, je ne sais pas ce que je vais vous jouer… aussi, pas de fausse note possible, ajoutait-il en riant, elles ne peuvent être qu’une invention supplémentaire, voire expérimentale… Je propose de vous emmener en promenade par le piano et l’imagination dans les rues d’Aix, en partant de ce que je connais de la ville et de l’imaginaire que j’ai développé autour d’elle ». « Chaque ville, ajoutait-il, offre un fantastique mélange des temps, présent, passé, futur… ». 

Ces strates enchevêtrées permettent au pianiste de jongler entre les univers, ici on croit reconnaître l’influence de Debussy, là, un contrepoint de Bach, un élan de Ravel, une facétie de Satie, un éclat de Ligeti, un murmure de Chopin, un rêve de Liszt… mais c’est, à travers les rues, les places, les fontaines, le lever de soleil sur la Sainte Victoire, si subtilement arachnéen, un concert de sensations et d’émotions, un être qui nous parle, nous raconte, brosse à grands traits un cadre, y cisèle des détails, anime une saynète, s’attarde devant une porte, s’émerveille d’une réminiscence, s’amuse d’une remarque, s’émeut d’une époque révolue qui le temps d’une mesure renaît sous ses doigts. La « ville des cent fontaines bleues » conjugue mouvement perpétuel et immobilité : « c’est fascinant, une fontaine, elle est immobile, mais son eau jaillissante s’écoule sans cesse sur place : fuite inexorable du temps et permanence ». Cultivant la mise en abyme, le poète du piano évoque la place d’Albertas, construite par le marquis du même nom qui souhaitait, non y vivre, mais édifier face à ses fenêtres un décor qui réjouirait sa vue. Friand des parenthèses, Jean-François Zygel précisait les circonstances de la mort du marquis, assassiné par un certain Anicet (« quel joli prénom ! ») Martel (« j’ai vécu à Paris, rue Anicet Martel » !) … Les échos se multiplient ainsi en un temps suspendu.

Le DUEL !!!

La scène du Grand Théâtre de Provence, comble pour l’évènement, accueillait un duel au sommet, celui de deux univers portés par les deux pianistes Jean-François Zygel, le « classique », et André Manoukian, le jazzman. Les deux personnages face à face, le premier sur un piano Bechstein, le second sur un Steinway, (ils échangeront en fin de concert, Jean-François Zygel prétextant qu’après avoir choisi le Bechstein, il enviait le Steinway, de la même manière qu’au restaurant, il convoite toujours le plat de ses voisins). Le duel est amorcé plutôt en duo complice, l’un ouvre par un accord, un arpège, un motif, l’autre le suit, remodule le thème, les formules ostinato passent de l’un à l’autre, soutenant les volutes des mélodies qui s’inventent, se croisent, se titillent avec humour. 

André Manoukian et Jean-François Zygel

Duo André Manoukian /Jean-François Zygel  ©SoleneRenault / ©PhilippeGontier

L’art des conclusions est poussé à l’envie, c’est à qui posera la dernière note, « ah ! les cadences ! » sourit André Manoukian. Il n’est plus de catégorie ni d’époque musicale dans ces assauts où triomphe l’harmonie. Potaches, en un numéro bien huilé, les compères invitent des spectateurs sur scène. L’une (oui, il n’y eut que des spectatrices à venir se mesurer aux deux musiciens !) fera l’objet d’un portrait musical, l’autre dirigera avec allant les deux pianistes qui exagèreront les effets, en une joute prenant pour témoin la salle entière. Des défis seront lancés, improvisations à partir de notes lancées par le public afin,  de montrer, tels deux prestidigitateurs, qu’il n’y a pas de « truc » et que « tout est vrai », jeu avec les mains croisées, reprise d’un thème joué par l’un en le développant… Dupes ou pas, peu importe, la musique savante devient accessible, son vocabulaire expliqué avec un humour parfois un peu gras, ses envols sont alors saisis avec intérêt, le jeu est la norme, l’essentiel ingrédient d’un art qui s’ouvre ici à tous. La virtuosité prend tout son sens, l’art n’est plus le carré privé d’une élite mais, au risque de me répéter, se décline pour tous, sans se dévoyer. Bravo !

Concerts donnés le 17 mars au Conservatoire Darius Milhaud et le 18 au Grand Théâtre de Provence à Aix-en-Provence  

Au fil des mots

Au fil des mots

« L’idééthèque », quel joli nom ! Le tout nouveau complexe culturel des Pennes-Mirabeau, fleure bon le bois et les livres et recèle une salle de spectacles avec une programmation qui sait accueillir les poètes et leurs mots.

Ce jour-là, de passage dans son sud natal, l’auteur, compositeur, interprète, danseur, comédien, feu follet génial qu’est Lionel Damei, refermait une résidence de création autour de son Jardin solaire avec la complicité de la subtile pianiste Agnès Jacquier. Ces compositions pour « voix nue et piano noir » s’orchestraient en deux temps, un regard vers le passé puis un florilège de pièces nouvelles. 

 

Lionel Damei & Agnès Jacquier à l’Idééthèque © DR

Voici une première, « la » première chanson, « écrite avec un copain dans la voiture » en 1984, déjà la poésie sourd des mots et de leur accord aux notes, impressions qui, mine de rien, dessinent une aventure humaine. Les souvenirs éclosent au cœur des « chansons de l’ancien temps », l’enfance, les parfums, les sensations, les goûts, avec un « chat rossignol dans la gorge ». Marseille, la ville où finit Rimbaud « amputé de ses ailes », Le jardin d’Allah, composé lors d’un retour de Tunisie, la place de Lenche où le comédien fit ses débuts, renaissent, images sensibles, vignettes délicates de « l’ancien temps ». Le tango impose alors son rythme, le chanteur chaloupe, dessine un autre langage où le corps, les mots, la musique ne sont plus qu’un. L’ogre de paille, cet « enfant perdu au fond d’une armure », souffre sous ses fards et c’est alors qu’il est beau. Le tragique s’immisce avant d’être bousculé par une pirouette… de la légèreté avant toute chose. De toute façon,  « à la fin tout fait sens » …

Les nouvelles compositions, malgré « la mémoire d’hippocampe » de leur interprète (dit-il), poursuivent une introspection parfois facétieuse, « niveau zodiaque, je suis poisson ascendant vierge, au niveau zodiaque chinois serpent » … Naît ainsi « le paradoxe du serpent », aux couleurs d’ombres qui font « brader au diable (notre) âme d’enfant / Et réciter comme à la messe / Aujourd’hui c’est moins bien qu’avant ». 

Lionel Damei et Agnès Jacquier en concert aux Pennes Mirabeau salle de l'Idééthèque

Lionel Damei & Agnès Jacquier  © DR

Les souvenirs émergent, façonnent la matière. On flirte avec le « Roman de Claudine », la douceur des glycines, le « regard intense » de Colette, hanté par les fantômes de Barbara et de la Louve, la sublime Anne Sylvestre… Bach groove, et Patti Smith « fulmine ». « La peau des mots fait mouche » et « il n’y a plus d’encre à perdre », les histoires d’amour finissent parfois mal, ailleurs ce sont les amitiés amoureuses qui servent de refuge.

La silhouette de Dalida se profile dans Soleil de cendres (écrit pour le dernier spectacle autour de la chanteuse et actrice concocté avec Alain Klingler, Dalida sur le divan à partir du texte éponyme de Joseph Agostini). La chanson du spectacle L’homme traversé permet de rendre hommage à Laurent Jacquier dont les superbes arrangements offrent à Agnès Jacquier de superbes partitions pianistiques aux accents qui jonglent entre Bach et Debussy. La musique n’accompagne pas seulement les textes, mais cisèle leur portée tandis que la danse est un « chemin buissonnier ». Quelle invite ! On en garde les fulgurances, les évasions, la désinvolture, les frémissements : « Je suis en souvenance / Enivré d’un avant / Tout n’est que résonance / Que parfums m’éprouvant » (Lionel Damei – Henry Torgue). Entre Baudelaire et Des Esseintes (le personnage de Là-Bas de Huysmans), la valse des sensations tournoie. Subtile musique…

Spectacle donné le 16 février à l’Idééthèque, Les Pennes-Mirabeau 

La cornemuse, instrument mystique?

La cornemuse, instrument mystique?

Éric Montbel, saxophoniste de jazz, eut le coup de foudre à dix-sept ans, l’âge où l’on n’est guère sérieux, pour la cornemuse. « Pour se démarquer, c’est parfait, sourit-il ! c’est un instrument insupportable et adorable ». En résidence au Chantier de Correns, ce compositeur, chercheur, docteur en ethnomusicologie et j’en passe, jouait au sein du Babeloni Quartet, formation composée de musiciens aussi inventifs que lui, Yvon Bayer, sonneur et danseur, Marc Anthony et sa vielle à roue acoustique et Nicola Marinoni, percussions et bruitages. Le concert baptisé Les cornemuses alchimiques donnait à découvrir un échantillonnage de cornemuses, grande cornemuse, cornemuse à miroirs, pastoral-pipe, gaïda (« impossible de toutes les rencontrer, il en existe une bonne centaine de par le monde ! » précisait Frank Tenaille, directeur artistique du Chantier, lors de sa présentation) …

Se rencontraient sur scène les mélodies, toutes des créations dont les motifs plongeaient dans l’humus des musiques traditionnelles, et les œuvres filmées de peintres (montages d’Yvon Bayer et Sylvain Fornaro), Le combat de Carnaval et Carême de Pieter Brueghel l’Ancien et Le Jardin des délices de Jérôme Bosch, en un voyage qui soulignait les détails, s’attardait sur une vignette, une expression, une scène, découvrant dans le foisonnement des œuvres les représentations allégoriques ou simplement pittoresques de la cornemuse, hésitant entre les figures osées et l’instrument de fête de village… 

Le Quartet Babeloni, 27 janvier, La Fraternelle de Correns © MC

Les airs et les rythmes s’accordent avec le jeu des images, les nappes électroniques de la vielle dessinent des atmosphères d’autres mondes, l’époustouflant duo de guimbardes répond à la palette du udu (vase venu d’Afrique et fabriqué « sur mesure » dans le Berry pour Nicola Marinoni par Sébastien Brothier) et aux infinies variations des cornemuses (chacune accordée différemment permettant de passer des tonalités majeures à mineures avec finesse).

Concert du Babeloni Quartet, Correns

Babeloni Quartet le 27 janvier à Correns © MC

La danse d’Yvon Bayer vient transcrire l’esprit de fête véhiculé par les musiques campagnardes, entraînante d’abord, « aux bras » d’une robe rouge, puis surlignant les pauses des danseurs en les figeant au cœur de leurs tournoiement par des arrêts sur image tout droit sortis de l’œuvre de Brueghel. C’est une conclusion stellaire portée par les vagues oniriques de la vielle qui nous emporte dans la dimension métaphysique des compositions. Jonction émouvante entre la matière organique et l’élan spirituel.

Le concert de fin de résidence a été donné à La Fraternelle de Correns le 27 janvier dernier

Cet extrait vidéo est un échantillon du travail en amont du concert du 23 janvier 2023. Le trio des origines s’est transformé en quartet. Le tableau de la tour de Babel de Bruegel l’Ancien nous donne la clé de l’origine du nom du groupe. 

L’orchestre des hommes-orchestres

L’orchestre des hommes-orchestres

Jean-François Vrod et Frédéric Aurier, violons, Sylvain Lemêtre, percussions, un énoncé très sage qui laisserait croire que ce trio emblématique de la musique trad, La Soustraction des fleurs, présenté sous l’abréviation La Soustrak, va se contenter de reprendre la tradition des violoneux du Massif Central dont Jean-François Vrod a patiemment et passionnément collecté les airs. Bien sûr pouvait mettre la puce à l’oreille la présence de Frédéric Aurier, membre du Quatuor Béla, familier de la musique classique aussi bien que de la création contemporaine, mais bon, un détour par la bourrée auvergnate est souvent emprunté par le violoniste et compositeur. Si l’on a déjà écouté le théâtre musical parlé et percuté de Sylvain Lemêtre (son superbe solo Sonore Boréale par exemple), on sait que le musicien est adepte des fabrications inédites et des percussions improbables. Bref, La Soustrak menée par Jean-François Vrod qui porte son attention sur les formes contemporaines, les cultures de la planète et la poésie sortait ce jour-là d’une résidence studieuse au Chantier de Correns et offrait à nos oreilles neuves une création traversée par les musiques traditionnelles du Massif Central, le théâtre Nô, un soupçon de musique des Balkans, mêlant les instruments « traditionnels » tels les violons à une série de « prototypes » inventifs et cocasses. « On pourrait dire que nous avons fait un concert de prototypes » souriait Sylvain Lemêtre à la fin de la représentation. Frank Tenaille, directeur artistique du Chantier présentait le trio comme « trois explorateurs des champs esthétiques » et citait Jean-François Vrod : « laissez notre mémoire inventer et notre imagination se souvenir ». 
La Soustrak concert à la Fraternelle de Correns

Concert à La Fraternelle de Correns, La Soustrak© MC

Pour fêter ses presque vingt ans La Soustrak reprenait le mode de création des violoneux d’antan, véritables hommes-orchestres, qui inventaient des façons de faire pour être seuls et orchestre à la fois. « Nous essayons d’être un orchestre d’hommes-orchestres en augmentant nos instruments d’une petite alchimie » expliquait Jean-François Vrod. La mélodie reste l’ADN de La Soustrak, on part sur des airs de moyenne montagne (la musique a ses géographies), puis au cœur d’une « Cérémonie douteuse », (« attention, c’est comme de la peinture fraîche, nous sommes en cours de création, précisent les interprètes »), et dans la campagne du Périgord, on se love dans un poème de Christian Bobin, le poète de l’infime et de l’universel trop tôt disparu, on écoute le « blues de l’alouette », on danse sur des mazurkas et des bourrées aux subtiles dissonances contemporaines en bis. Un écran permet de voir « en direct » la vidéo des incroyables inventions instrumentales en action. 

Les musiciens auront orné leurs violons de curieux élytres d’insectes extra-terrestres, prolongé leur corps de cannes à pêche terminées par des grelots, attaché aux chevilles des sonnailles indiennes, ajusté aux chaussures des maillets capables de percuter la peau de tambours installés au sol (spécialités de Jean-François Vrod). Par terre aussi une sanza, ce piano à pouces africain, que le luthier Amour Makouya a transformé à la demande de Sylvain Lemêtre pour que l’instrumentiste puisse en jouer avec les pieds en l’agrémentant de « petites extensions », pinces à linge et autres fantaisies qui, à l’instar des cuillères en bois fixées sur les cordes des violons offrent de nouvelles sonorités. Autre clou créatif, l’alto à pédale inventé par Frédéric Aurier, reprenait le principe de la machine à coudre à pédale, actionnant une roue de vélo qui entraîne une courroie qui passe sur les cordes d’un alto, ouf !. Le tout baigné par les lumières de Sam Mary. Quelle palette de timbres et de couleurs !

Concert donné à La Fraternelle Correns à l’issue d’une résidence organisée par Le Chantier (Centre de création des musiques du monde en Provence Verte) le 9 décembre.

Lorsque le noir et le blanc deviennent des couleurs

Lorsque le noir et le blanc deviennent des couleurs

Évènement à La Croisée des Arts de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume ! La grande chanteuse portugaise de Fado, Mísia, renouait avec l’art des tournées internationales en commençant par répondre à l’invitation du Chantier, Centre de création des Musiques du Monde de Correns. 

Frank Tenaille, directeur artistique de cette structure unique en France, présentait en apéritif au concert la carrière foisonnante de cette artiste hors normes qui a permis au Portugal de se réconcilier avec cet art de la saudade, ce spleen indéfinissable que l’on peut rapprocher du blues, avec ses racines populaires (au moment de la Révolution des œillets, on accusa cette forme musicale de faire partie des « 3F », « Fado, Fatima et Football », aliénant le peuple).

 Présenté en deux mouvements, le spectacle (et ce concert en fut vraiment un, avec une protagoniste racontant des histoires, mettant en scène les récits, les émotions, les situations, l’intime comme l’universel) offrait un premier temps en « noir et blanc », dans la lignée de Piaf et Barbara, dont Mísia, gainée de noir, adopte certaines attitudes et intonations. « Bien sûr, sourit-elle, mutine, le Fado n’est pas olé-olé, ce n’est pas une danse comme le flamenco ou le tango, nous on attend le destin sans bouger et cela demande beaucoup de courage. Nous devons aller au fond de notre cœur. » Ce cœur, « il est peut-être au fond de la mer » avec la grande Amalia Rodriguez à laquelle l’interprète décerne un vibrant hommage, accompagnée par Fabrizio Romano au piano, Bernardo Couto à la guitare portugaise et João Filipe à la viola de fado, « mes hommes » dit-elle à l’instar de Barbara… 

Vagabondart, concert buissonnier de Correns à Saint-Maximin, Mísia la diva du Fado

Misia © DR

La voix, émouvante jusque dans ses fêlures et ses élans mélodiques à l’élégance pure, s’empare des textes que les poètes les plus marquants de leur génération ont écrit pour elle. L’émotion devient matière sonore, fluide, envoûtante. Mais le rire affleure partout. Le micro se refuse à rester fixe et manque lui tomber sur le visage, Mísia rit et voit des échos de Louis de Funès ou de Peter Sellers dans la situation.

La deuxième partie, sous les auspices d’Almodovar, s’ouvre sur une chanson de Violeta Parra qui chantait si magnifiquement Gracias a la vida, Que he sacado con quererte. Mísia qui s’est vêtue d’or évoque sa famille, une mère danseuse classique espagnole, une grand-mère « frivole », artiste de music-hall qui a élevé sa petite-fille et l’a encouragée contre l’avis de ses parents à se lancer dans le monde de la musique et du spectacle. Ces anecdotes se trouvent dans le tout nouveau livre de la chanteuse, Animal sentimental (pas encore traduit en français). « Toutes les chansons que l’on peut écouter sur mon disque (éponyme du livre) sont connectées avec chaque chapitre. C’est être un « animal sentimental » qui m’a sauvée dans tous les moments de ma vie et m’a donné la foi de continuer ». On se laisse séduire, Fernando Pessoa et sa dame de chagrin, le Chachacha des années cinquante qui tombe amoureux du fado… Mísia chante, danse, mime, joue, conte. Un espace de liberté infini s’ouvre, la vie se fait chant, ou l’inverse, on ne sait plus si ce n’est que c’est sublimement beau.

Concert buissonnier du Chantier de Correns donné à La Croisée des Arts de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume le 25 novembre

Vous reprendrez bien un peu de classique !

Vous reprendrez bien un peu de classique !

La légende veut que le jour de la générale de la Symphonie n° 1 de Prokofiev en avril 1918 (la date de création de l’œuvre achevée le 10 septembre 1917 et prévue en octobre ayant été reportée pour cause de révolution), le jeune compositeur à la baguette ait eu le visage baigné par les rayons rougeoyants du soleil. Le jour de la première le même effet se produisit, de bon augure pour cet opus « héliophile » car ce fut un succès.

Concert de L'Orchestre de Lausanne sous la houlette de Renaud Capuçon au GTP à Aix-en-Provence

Orchestre de chambre de Lausanne © Federal_studio

Le soleil des éclairages du GTP baignait l’orchestre de Lausanne et son chef, Renaud Capuçon qui s’affirme de plus en plus dans ce rôle complexe. Sans aucun doute, la verve du jeune Prokofiev se retrouvait dans l’interprétation vive et espiègle de sa Symphonie n° 1, dite, « classique » alors qu’elle joue avec les codes, introduisant quelques « joyeuses dissonances prokofiéviennes» dans son « classicisme mozartien » (dixit le compositeur). Renaud Capuçon dirigeait encore sans son violon la sublime suite pour orchestre de Gabriel Fauré Pelléas et Mélisande. Les sons creusés circulent entre les pupitres parfaitement équilibrés, le récit se sculpte avec finesse, déployant les phrasés, ne négligeant aucun détail de cet ouvrage qui traduit avec une délicate élégance le climat de la pièce du poète Maeterlinck. Ma Mère l’Oye de Maurice Ravel nous contait les histoires de Charles Perrault, Madame Leprince de Beaumont et Madame d’Aulnoy, en échappant aux hypothétiques mièvreries des reprises disneyennes. Variété des tons, des atmosphères, des couleurs… la palette de l’Orchestre de Lausanne se pare de fragrances moirées sous la houlette de Renaud Capuçon en une complicité sensible. 

Le génial violoniste laissait parfois la baguette pour l’archet de son Guarneri de 1737 pour Rêverie et capriced’Hector Berlioz, cette « romance pour le violon avec accompagnement d’orchestre » dédiée au violoniste Alexandre-Joseph Artot, élève de Kreutzer. La feinte désinvolture de la partition offrait un air de liberté qui trouvera son acmé dans Tzigane de Ravel. La première partie, pour violon seul, a des allures d’improvisation sur des thèmes tziganes, acrobatique, époustouflante sous les doigts du violoniste particulièrement inspiré. Les superlatifs se révèlent impuissants pour traduire la puissante maestria de l’interprète et le bouleversement ressenti par l’auditoire.

 Les superlatifs se révèlent impuissants pour traduire la puissante maestria de l’interprète et le bouleversement ressenti par l’auditoire. (il fallait bien un entracte pour se remettre et être de nouveau disposé à écouter l’orchestre seul dans les suites de Fauré et Ravel précitées).

En bis, on quittait la musique française si bien traduite pour une courte pièce d’Elgar (Chanson de Nuit) et la si lyrique et sublime Valse triste de Sibelius. Emportements oniriques…

Ce concert a été donné le 3 décembre au Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence