Le dernier opus de la galeriste, poète, écrivain et médecin, Barbara Polla, s’attache à l’artiste franco-palestinien Abdul Rahman Katanani, né en 1983 dans le camp de Sabra, de parents réfugiés palestiniens. « Ce livre ne parle pas d’Abdul Rahman Katanani. / C’est Abdul Rahman Katanani qui parle » précise l’incipit. En une centaine de pages, se retrouvent les discussions menées durant six années entre les deux artistes. Le mode opératoire est l’empathie, c’est en discutant avec le dessinateur-plasticien que naît la série JE SUIS/I AM au cours de laquelle Barbara Polla explore les trajets et les œuvres d’artistes qui passent par sa galerie. « Je suis untel » : manière d’entrée dans les pensées, les démarches, les méthodes, comprendre de l’intérieur, se laisser porter, s’immerger dans la houle sensible de l’autre.
Le texte est à la première personne, le locuteur se raconte, aiguise son discours à l’aune des questionnements, fait part de ses doutes, de ses aspirations, de ses observations : le monde des abeilles, celui des arbres… les abeilles si on les écoute avec les oreilles du poète observateur parlent : « tu vis dans un cocon de fil de fer barbelé. La ville elle-même est un cocon de barbelé » … Se développe ainsi « le plaisir de faire de l’art » mais « pas « optimiser » la production » et de concevoir les idées comme les racines des arbres… Transmutant les fils de fer barbelés qui enserrent, blessent, jugulent, en objets d’art, en lieux de beauté, l’artiste interroge sa / notre relation au corps : « est-ce que je suis mon corps ou est-ce que je suis dans mon corps ? ». Revendiquant la liberté « toutes les libertés », il explique : « mes œuvres d’art fonctionnent comme des portes, des portes qui tirent les gens vers des idées, ils sont obligés de réfléchir ». Le premier travail est celui que l’artiste accomplit sur lui-même, son « workshop intérieur », « plantation de joie », son sourire « micropolitique », résistance première et ultime face à « la violence du monde » … « La violence d’État est portée par l’économie, les armes, la drogue ». S’amorce alors une réflexion sur la paix, intérieure d’abord pour que la paix des peuples s’installe, que l’on aille vers un « humain écosophique »…
Rarement le discours autour d’un artiste est empli d’une telle cohérence entre l’intime, le politique, la philosophie, l’appréhension de l’autre, la création. Un hymne à la vie et à la joie, celle que l’on pouvait trouver chez Goliarda Sapienza (L’art de la joie) qui redonne ses lettres de noblesse à l’humanité.
Abdul Rahman Katanani / Paroles d’artiste, Propos recueillis par Barbara Polla, (postface de Karine Tissot), éditions Slatkine